Forban

A ux environs de Bruxelles, en 1992, un fourgon de transfert de fonds, sortant de la banque centrale, est attaqué par un commando armé. Les malfrats s’évanouissent dans la nature. Frank était un des convoyeurs ; il était surtout complice des braqueurs. Ancien militaire et garde du corps, il s’est fait embaucher par la société de convoyage. Avec ses acolytes, il a patienté, attendu le bon moment, tout en réglant les moindres détails de l’opération. Sa part en poche, il disparaît. Il se vautre dans le luxe, le futile et l’éphémère. Sa vie a basculé. Il est désormais un fugitif. Riche mais traqué.

L’itinéraire de Frank passe par toutes les étapes du genre : le premier casse, puis le second et l’addiction à l’adrénaline, à l’argent facile et à la réussite. Puis ce sera la prison, l’évasion et la récidive. Mais ce parcours, qui paraît aller de soi, qui ne semble devoir subir aucune alternative, croise des grains de sable qui vont enrayer la machine : l’amour, la vie de couple et la naissance d’un enfant. Alors l’évidence s’atténue, des questions se posent et les réponses peinent à venir.

Forban, au-delà d’une narration délibérément sèche, juxtaposant les faits, énoncés par une voix off économe, prend tout son sens avec les interrogations fondamentales qui criblent les faits. Comment et pourquoi entre-t-on dans le grand banditisme ? Comment peut-on en sortir ? Comment concilier la traque et la vie de famille ? Quel vide la soif d’argent et de luxe cherche-t-elle à combler ?

François Troukens, le scénariste, est passé par là. Il se souvient, il reconstruit, il tâche de comprendre. Il repense son enfance de marginal, parce que ses parents avaient fait des choix éducatifs radicaux, empêchant toute socialisation évidente. Il évoque son attirance pour l'Art, le jazz et la trompette. Il raconte comment on s'invente des faux prétextes dans des interprétations spécieuses de Marx et de la littérature d’extrême gauche. Il fait sourire lorsqu’il s’accroche à son code d’honneur : le sang ne doit pas être versé. « Élégance et panache, sans violence inutile », pense-t-il, vidant le chargeur de son fusil d’assaut sur les forces de Police. L’honneur, comme son code, ne fera pas long feu.

Pour mettre en image cette violence, cette cavale permanente et les états d'âme du narrateur, Alain Bardet, peintre et illustrateur, utilise un noir et blanc précis et évocateur. Du découpage classique à la pleine page qui saute à la figure du lecteur, il expose crûment ou esquisse subtilement. Son talent explose à chaque planche, son trait dynamique et varié fixant la force du récit.

Forban (desservi par une couverture qui trompe sur le contenu) n’est pas une énième tentative de rédemption autobiographique. S’il en a les atours, il trouve sa substance dans une perspective plus introspective et universelle. En ne se cherchant pas d’excuses – tout juste des explications – François Troukens se livre, certainement pour servir d’exemple, mais sans moralisation facile et stérile. Il montre sans démontrer, expose sans chercher à convertir. Voilà un album intelligent, qui mérite l’attention de chacun.

Moyenne des chroniqueurs
7.0