En attendant l'apocalypse

F igure originale de la bande dessinée US, Paul Kirchner mène une carrière en dents de scie. Durant les années soixante-dix, après un « apprentissage » classique en tant qu’assistant de quelques grands noms (Walt Kelly, Neal Adams), il a obliqué vers les comics de genre en collaborant avec des magazines alternatifs (Screw, High Times). Il connaît, au tout début de la décennie suivante, un bref succès avec le légendaire the bus, série de gags absurdes publiés dans Heavy Metal. Peu après, il arrête totalement la BD pour se tourner vers l’illustration commerciale. En 2014, contre toute attente, il réapparaît sur le devant de la scène en proposant une suite à the bus et en relançant un de ses héros fétiches, The Dope Rider, toujours dans High Times, une revue militante à laquelle l’acceptation sociale du cannabis a octroyé une seconde jeunesse.

À la demande des éditions Tanibis, il a accepté de piocher dans ses fardes pour proposer un florilège de ses créations préférées qu’il a sobrement intitulé En attendant l’apocalypse. Quoique profondément ancrée à l’imaginaire et la contre-culture américaine, l’œuvre de Kirchner trouve également des racines en Europe avec des influences de Philipe Druillet et Mœbius très marquées. Ses fables, particulièrement The Dope Rider, surfe sur le surréalisme d’une manière élégante et immanquablement déconcertante. Dessinateur avant tout, l’artiste privilégie invariablement l’aspect visuel. Parfois, cette approche se fait au détriment du récit, mais heureusement sans réelle conséquence en définitive. Comme peut le faire José Roosevelt, l’image est aussi là pour offrir des échappatoires dissonantes et poétiques à la narration. Au lecteur d’accepter de plonger sans retenue dans ces compositions audacieuses (la consommation de substances narcotiques n’est pas encouragée, évidemment).

Outre une sélection d’histoires courtes, le recueil présente de nombreuses illustrations réalisées entre 1974 et 2014. Kirchner y dévoile une autre facette de son talent avec des représentations plus ou moins suggestives très marquantes (la couverture de l’ouvrage en est un superbe exemple). En fin de volume, dans un appréciable dossier, il revient sur sa trajectoire et apporte une foule de précisions sur les dessous de ses travaux.

Excellente porte d’entrée dans un univers foisonnant, En attendant l’apocalypse est une lecture conseillée à tous les amateurs de mondes décalés et fantastiques.

Moyenne des chroniqueurs
7.0