Le syndrome de Stendhal

R ien ne va plus pour Frédéric Delachaise. Issu de la petite noblesse, il s’apprête à épouser une femme qui convoite le titre de duchesse. À la mort de ses parents, il se découvre cependant ruiné. Fini le château familial, idem pour le bel appartement. Le héros n’a jamais rien fait et ne sait rien faire, sinon danser comme Fred Astaire. Acculé à la ruine, il décroche un emploi de gardien de musée à Beaubourg. Entre les mauvaises nouvelles de son notaire, le sale caractère de sa fiancée et les réprimandes de son patron, il se réfugie dans l’univers muséal. Il discute, au sens propre, avec les peintures, particulièrement avec un autoportrait de Lucian Freud, avant de s’autoproclamer œuvre. C’est assez pour devenir la coqueluche de tous les branchés de la capitale.

Avec Le syndrome de Stendhal, Aurélie Herrou signe son premier scénario. Elle explore la détresse d’un homme qui s’évade dans le rêve alors qu’il perd tous ses repères. Au départ, il résiste à ces formes d’expression artistique qui sont à des années-lumière du classicisme qui a jusqu’alors bercé sa vie. « Picasso, je veux bien, à la limite ! Mais là, je ne vois pas… Des œuvres ??? Ces plaques de béton incrustées de cailloux ? » Mais voilà que, petit à petit, il part à la rencontre d’un monde teinté d’onirisme et de folie où on emballe les objets (Christo), où on s’émerveille devant un phallus géant (Takashi Murakami) et où on expose des cochons peints (Wim Delvoye). Et du coup, il s’émancipe du microcosme étriqué où il a grandi. Cette extravagance et cette liberté seront sa rédemption. L’album, coédité par le Centre Pompidou présente par ailleurs une intéressante réflexion sur la création moderne. Les acteurs se questionnent sur ce qu’est l’Art, son avenir, son économie et sa signification.

Le dessin semi-caricatural de Sagar, lequel débute lui aussi dans le métier, se révèle tout autant convaincant. Avec un coup de pinceau qui rappelle celui de Christophe Blain et par moment celui de Daniel Casanave, il propose un trait nerveux qui se marie bien avec son exploration du milieu de la production contemporaine. Au fil des pages, il se mesure, avec assurance, à tous les styles. Il n’hésite d’ailleurs pas à pasticher les tableaux d’Edward Hopper, les sculptures d’Alberto Giacometti, les photographies de Man Ray, mais également la pratique d’artistes moins connus, par exemple Ben, qui en 2017 écrit, en très gros sur une toile, « Est-ce bien de l’Art ? ».

Une histoire touchante, originale, pleine de douceur et de fantaisie. Il serait étonnant qu’on ne réentende pas parler de ce duo de créateurs.

Moyenne des chroniqueurs
7.0