Migrant

I ls le savaient pourtant : voyager en famille dans la même embarcation, cela porte malheur ! Il est minuit et depuis trois heures, Ebo et Kwame essayent de se rassurer, mais, au milieu de l'immensité salée, noire et froide, il est difficile de garder le moral. D’autant que, prévu pour six, le canot miteux à fâcheuse tendance à prendre l’eau du fait deses quatorze occupants. Mais chacun d’eux peut prétendre à une place pour une vie meilleure. D’un petit village du Niger à un centre de réfugiés en Italie, le parcours d’Ebo illustre celui de millions de migrants qui se lancent sans réellement mesurer les risques encourus, avec pour unique bagage, l’espoir au cœur.

Il fallait bien deux scénaristes pour un sujet aussi grave, à la portée universelle. Le lecteur averti connaît plus ou moins le contenu : une existence précaire, l'absence d'avenir, puis l'exploitation des candidats à l'exil, les successions de déboires et de déceptions. Cependant, Eoin Colfer (auteur de la série de romans Artemis Fowl) et Andrew Donkin contournent l'écueil de la trame classique aux péripéties attendues grâce à un procédé intelligent : mettre en parallèle la traversée de l’océan des deux adolescents et le périple dans le désert du cadet pour rejoindre l'ainé, parti dix-neuf mois auparavant. Le découpage alterne le gaufrier et les larges bandes qui s'ouvrent en pleines pages pour créer un effet dramatique. La personnalité solaire du petit héros et son don pour le chant empêche le récit de sombrer dans la caricature misérabiliste. Sa relation étroite avec son frère est émouvante et compose le point fort de l'histoire : la misère est moins lourde à porter quand elle est partagée, quant aux joies, elles sont multipliées.

Giovanni Rigano met son graphisme au niveau du jeune narrateur avec un style plutôt naïf qui permet également d'adoucir la dureté du propos. Les jolies couleurs participent au parallélisme des lieux en accentuant le contraste du bleu de la mer et le jaune du sable. Les illustrations tout public permettent un accès pour les plus précoces bédévores et leur faire prendre conscience des maux de ce monde.

Vous qui passez sans me voir, je suis un fait de société qui constitue un problème majeur et concerne un nombre de plus en plus important d'êtres humains. Cet ouvrage parle à travers moi et pour moi, Immigration. Si mes ravages rapportaient autant que des forages, je serais la priorité des dirigeants de tous bords.

Moyenne des chroniqueurs
7.0