The private Eye The Private Eye

E n 2026, le nuage a crevé. Quarante jours durant, tout ce qui était consigné sur les serveurs a été rendu public, notamment les contenus des recherches les moins avouables. Un peu comme si tout un chacun était victime du coup d'éclat d’un immense wickileack. Du coup, l’épouse est avertie des explorations de son mari sur la toile, le patron lit la correspondance de ses employés, les voisins n’ont même plus à regarder par les fenêtres pour tout savoir. En réaction à cette perte d’intimité, les gens se cachent sous des pseudonymes et des masques fantaisistes. Cinquante ans plus tard, le bilan est relativement positif. Les chercheurs se sont détournés du monde virtuel et ont recommencé à innover dans le réel. Cependant, dans cette société où la vie privée est une valeur sacrée, certains manigancent pour réactiver le web.

Brian K. Vaughan inscrit son histoire dans un avenir proche. L’évolution de l’humanité et des rapports humains est crédible, les personnages sont bien campés. Le lecteur s’attache particulièrement au grand-père plutôt ringard avec sa nostalgie du bon vieux temps où les iPhone et les iPad servaient à quelque chose. Au premier abord, il y a certes une critique de l’engouement technologique actuel, mais les lendemains qu’il imagine ont des allures de totalitarisme. Bref, l’auteur est dur avec son époque, mais le regard sur le futur qu’il anticipe est féroce.

Le dessin de Marcos Martin est simple et efficace. La bande dessinée a d’abord été présentée en ligne (l’artiste a facétieusement souhaité qu’une civilisation sans internet apparaisse avant tout sur le réseau), d’où ce format à l’italienne qui rappelle celui des écrans d’ordinateur. Les illustrations sont en bonne partie inspiré du style typique des comics : onomatopées sous stéroïdes, superpositions de cases, éléments à l’avant-plan qui semblent déterminés à sortir du cadre, grande variété de composition, etc. L’abondance de déguisements lui permet par ailleurs de s’amuser en affublant les passants de têtes de serpent, de Sesame Street ou de poissons.

Les acolytes bouclent la boucle alors qu’un imposant dossier révèle leurs échanges de courriels. Le bédéphile y découvre des questionnements d’ordre artistique, mais également des préoccupations sur des sujets terre à terre, tels que la viabilité économique de leur projet et leur capacité de vivre sans revenu fixe pendant une année.

Un agréable récit d’anticipation, solide et original qui suscite la réflexion. Après tout, comme le dit le proverbe, il n’est jamais prudent de mettre tous ses œufs dans le même cumulus, aussi opaque puisse-t-il prétendre être.

Moyenne des chroniqueurs
7.5