Édouard Manet & Berthe Morisot Une passion impressionniste

E n 1884, quelque part à Rochefort, une main féminine dépose dans le feu des lettres d’une correspondance ancienne, vestiges d’une relation sentimentale et artistique qui n’est pas oubliée. Berthe Morisot se souvient. Elle revoit ses années d’apprentissage de la peinture au Louvre et sa rencontre avec Edouard Manet. Celui-ci, réduit aux scandales du Déjeuner sur l’herbe et d’Olympia, cherche la reconnaissance académique, tout en développant un art audacieux et incompris. Elle sera admirative, amoureuse, jalouse et conseillère. Il sera confident, passionné, volage et entêté. Leur passion sera d’abord intellectuelle et artistique, puis charnelle et totale. Elle aura pour cadre les ateliers, les salons, la bourgeoisie parisienne et les bords de Seine. Elle se brisera sur les récifs des conventions sociales et l’inconstance des cœurs.

Michaël Le Galli (Les Cercles d’Akamoth et des participations ponctuelles à de nombreuses séries), familier de la reconstitution historique, trouve avec Édouard Manet et Berthe Morisot un équilibre parfait entre le portrait d’un homme, la relation d’une liaison, le rendu d’une société (celle de Paris et des Arts dans la deuxième moitié du 19è siècle) et des incises sur la création, la modernité et le Beau. Multipliant les retours en arrière, sans sacrifier la clarté, construisant des personnages secondaires ayant de l’épaisseur et rédigeant des dialogues précis, il livre un récit riche, varié et prenant. Son Manet est crédible dans ses défauts et ses qualités, dans sa soif de succès et sa propension à innover. Sa naïveté, au sens noble du terme, est touchante. Elle marquera particulièrement Berthe Morisot, artiste reconnue en son temps et par le premier mouvement impressionniste, mystérieusement laissée de côté par la postérité.

Loin de se cantonner à l’intimité du couple, Le Galli le fait vivre pleinement dans son temps. Fantin-Latour et Baudelaire sont mis en scène. Le lecteur suit le couple dans un magasin d’articles de peinture aussi bien qu’au Palais des Beaux-Arts. L’amour de Berthe et Édouard se heurte à la haine du public, qui ne comprend pas leurs audaces artistiques. Les sentiments se mêlent également à la volonté intellectuelle de définir l’Art, son rôle et ses limites.

Marie Jaffredo retrouve l’univers graphique des Damnés de Paris (déjà scénarisé par Le Galli), dans lequel elle rendait l'attrait suranné de la Capitale des années 1870. Son trait fin, sa mise en couleur retenue et sa créativité dans la mise en page ont un charme indéniable. Ils accompagnent avec bonheur ces êtres sensibles, ces objets qui attendent d’être immortalisés sur une toile et ces paysages – urbains ou bucoliques – promesses de tableaux à venir.

Édouard Manet et Berthe Morisot est un album équilibré, expressif, nuancé et subtil. Narration et mise en images s’allient parfaitement pour un voyage aux multiples facettes et profondément humain, allant bien au-delà de la biographie traditionnelle.

Moyenne des chroniqueurs
8.0