Paroles d'honneur

M ai 2015, dans un hôtel international de Rabat, Leïla se repose après une intervention publique à propos de son dernier ouvrage, Dans le jardin de l'ogre. Nour, une jeune lectrice, l'approche, s'excusant de son retard et lui signifie son admiration ; une conversation passionnée s'engage alors sur le thème vaste et très controversé de la sexualité dans ce pays. D'autres entretiens et d'autres rencontres aussi riches suivront avec, comme en écho, le tumulte des scandales de cet été-là (Jennifer Lopez et son short, lynchage d'homosexuels). Pour ne pas perdre ces échanges édifiants et rendre hommage à leurs sources, la journaliste décide de les coucher sur le papier.

Leïla Slimani, journaliste franco-marocaine très engagée et lauréate du prix Goncourt 2016, propose une adaptation en bande dessinée de son propre roman Sexe et mensonges. Le souhait était d'offrir ce texte à un public plus large et le toucher via un support moins austère. L'autrice cerne le sujet d'une manière très complète (viol, tradition rétrogrades, pornographie sur le net, misogynie religieuse, regard des autres, inceste, virginité sacrée, prostitution...). Tout en restant juste, elle dresse un tableau sans fard ni concession de la société face à ce qui est à la fois un tabou et une obsession. Découpé en trois chapitres chronologiques, le scénario retranscrit, à travers les différents témoignages (d'anonymes comme de personnalités), les conséquences de la loi tacite du silence : violence, frustration, honte et mal-être d'une manière général. Tous les milieux et tous les âges sont touchés. Ce qui apparaît comme des clichés n'est simplement que la réalité brute. Face à toutes ces contradictions, le blocage semble immuable. Cependant, grâce à une prise de parole libératrice, l'évolution des consciences progresse, doucement. L'épilogue amène une note optimiste, opposant l'immobilisme du gouvernement à l'élan de la jeunesse; Mais la question demeure en suspens : être musulman et libre de disposer de son corps, est-ce possible ?

Par rapport à ses ouvrages précédents (Sex story, La question de Dieu), l'artiste Laëticia Coryn change et adapte son graphisme : sans caricature, plus de douceur et de sensibilité. Accompagné des jolies couleurs de Sandra Desmazières, le résultat met en valeur la population et les paysages typiques, accentuant de ce fait le contraste entre la beauté du pays et sa mentalité froide, brutale et figée.

Paroles d'honneur expose de manière claire un sujet qui fâche, une crise qui couve et se cache sous le voile de l'hypocrisie. Cette initiative est à saluer car beaucoup de ses victimes n'ont pas forcément la possibilité ou la force de s'exprimer.

À lire sur le même thème, avec une autre approche en Iran : la chronique de l'Araignée de Moschad.

Moyenne des chroniqueurs
7.0