Postal Carte postale

E den, une petite ville du Wyoming de 2.198 habitants, n'apparaît sur aucune carte. Elle est même inconnue des services de voiries, postaux, et même de l'État et des forces de l'Ordre. Le lieu idéal pour faire table rase du passé, reprendre sa vie à zéro et se racheter une conduite. Dirigée par une main de fer par Madame le maire Shiffron et le shérif Magnum, tout semble bien rangé et les secrets de chacun cachés sous le tapis. Tout ? Enfin jusqu'au jour où Mark Shiffron, facteur non-officiel, fils de et accessoirement atteint du syndrome d'Asperger découvre le corps sans vie d'une femme en sortant de l'Église. Certains souvenirs ne sont pas bons à déterrer...

Sortie de l'imagination du président de la maison d'édition Top Cow, Postal a été créée début 2015 outre-Atlantique. L'auteur est accompagné de Isaac Goodsart, découvert par l'éditeur, qui signe ici sa première création.

La couverture donne le ton : angoissante, saisissante et intrigante, l'ambiance qui s'en dégage se prolonge dès les premières cases. Net, lisse voire froid, le trait du dessinateur new-yorkais possède un côté clinique qui surprend et peut dérouter, notamment du fait du manque d'émotion se dégageant des visages. Pourtant, son travail est soigné, son découpage efficace et la palette de couleurs choisie par Betsy Gonia (dont c'est aussi la première œuvre publiée en VF), bien que sombre, confère une lisibilité impeccable. Peut-être trop sobre, trop classique dans le dessin mais aussi dans les cadrages pour réellement surprendre, le résultat est, dans l'ensemble, plutôt satisfaisant.

D'ailleurs, cette prestation est totalement en accord avec le propos : via la voix off, le lecteur embarque dans la tête de Mark, héros malgré lui, dont le trouble constitue un ressort intéressant. La forme d'autisme mis en avant lui donne une distance peu habituelle face aux évènements et lui octroie la possibilité de dire les choses, sans aucun filtre, à ses semblables. Cette particularité accentue encore le côté glacial de la narration en plus d'ouvrir des possibilités que Matt Hawkins ne se prive pas d'exploiter. Un humour pince-sans-rire, une impassibilité dérangeante et une expressivité proche du zéro absolu ne sont pas sans rappeler le flegme de l'agent Dale Cooper (Kyle MacLachlan dans la série télévisée Twin Peaks). Même s'il n'atteint pas la virtuosité de Mark Frost et David Lynch, le scénariste parvient à donner une atmosphère lugubre et troublante à son histoire - dénuée, elle, de fantastique - qui n'est pas sans rappeler la mythique série.

Certes, le postulat de départ - une ville inconnue de tous au beau milieu des États-Unis -, s’avère difficile à admettre et peut laisser des lecteurs à la porte de cette histoire. Mais il joue également un rôle primordial dans la construction de la trame. Le (quasi) huis-clos qui en découle laisse la ville aux mains de deux personnages sans aucun scrupule tout en donnant aux secrets des habitants historiques un aspect pesant, inextricable et étouffant. Quant aux seconds rôles, Maggie, Johan, Simpson, le prêtre et Isaac en tête, ils se révèlent tous plus inquiétants les uns que les autres et potentiellement sources de rebondissements.

Cette entrée en matière originale, malgré quelques défauts, laisse à penser que Postal pourrait constituer une bonne surprise. Une véritable identité visuelle couplée à un ton et une intrigue détonants à souhait sont autant de raisons de s'intéresser à la suite et voir ce qu'il adviendra de ce « charmant petit coin de Paradis » et de ses habitants. Nous sommes loin de la Carte Postale et c'est tant mieux.

Moyenne des chroniqueurs
7.0