(AUT) Chereau Du moment qu'on s'aime

«Je lève mon verre aux mariés qui pensent encore qu’ils vont s’aimer pour l'éternité». Si avec cet avertissement, vous n'avez pas compris, ne venez pas vous plaindre. Donc, attention : tourtereaux romantiques, jeune filles en fleurs, couples tout frais, enfants qui respectent encore leurs parents, ne lisez pas ce livre, car celui qui a dit que amour rimait avec toujours a entretenu un mythe en carton pâte. En effet, au secours eut été plus juste ! Le quotidien de la vie à deux et plus généralement, celui de la famille, sont analysés et passés à la moulinette pour finir nappé de sauce piquante. À servir bien froid, cela va sans dire.

Du moment qu'on s'aime est un titre trompeur. Ce recueil de réflexions s'attaque au commandement du bonheur à vivre ensemble et le démonte pièce par pièce pour finir sur un constat pour le moins pessimiste et loin d'être à l'amiable : les sentiments ne sont plus le gage d'un ciment solide et finissent indéniablement par s'effriter.

Antoine Chereau est dessinateur pour la presse et les entreprises. Après Santé ! Rien ne va plus !, caricature de l’univers hospitalier, L'égalité est un long fleuve tranquille, moquerie de ce précepte et Encore un petit effort, sur les soi-disant joies du travail en entreprise, il s'attaque à un autre sujet de taille : la solidité et la sincérité des liens entre les êtres. Sous forme de strips ou en une seule case, les protagonistes expriment tout haut ce que la majorité pense tout bas. Déroulés de façon chronologique, les différents thèmes abordés (libido, infidélité, mauvaise foi, femme réduite au rang de ménagère, misogynie, monotonie, vieillesse...) n'épargnent personne. Le ton général est léger mais beaucoup de dialogues, simples et directs, sont cinglants et tombent comme des couperets, entamant sérieusement le socle sacré de la lignée. Au choix : le venin, l'acide ou la prison, c'est globalement les perspectives qui ressortent. La majorité des gags fait sourire, certains restent obscurs, néanmoins, l'ensemble est bien vu. Cependant, une certaine impression de réchauffé ou tout du moins, de déjà entendu imprègne l'esprit du lecteur. La vision juste de l'auteur fait mouche mais l'absence de réelle profondeur engendre une lecture rapide qui laissent les idées à la surface. Cette lucidité sans fard est sans reproche, pourtant, ce cynisme ambiant plombe finalement le propos.

Les observations sont illustrées à l'aide d'un graphisme simple et des personnages types, caricaturés. Quelques saynètes et pleines pages bénéficient d'un décor vivant et d'une colorisation informatique. Le rendu est clair, direct et efficace, même si, il faut l'avouer, leur fasciés est aussi laid que leurs pensées.

«L'enfer, c'est les autres» aurait été un intitulé plus représentatif de cet ouvrage qui, loin de redorer le blason de la solidarité familiale, enfonce le clou sur la perte de vitesse manifeste des liens entre les individus. Le sourire se transforme vite en rictus.

Moyenne des chroniqueurs
5.3