L'Été en pente douce

D ans une chaleur caniculaire, Stéphane Leheurt, alias Fane, revient dans son village natal, bourgade perdue abritant une poignée d’âmes. Il est accompagné de Lilas, jeune femme à l’apparence et aux meurs qui risquent d’entrer en collision avec la retenue locale. Le jour de son retour, c’est l’enterrement de sa mère, dont il ignorait le décès. Il hérite de la maison familiale, des histoires anciennes et de son frère Maurice, dit Mo, devenu simple d’esprit suite à une trépanation. La vie semble leur sourire : Lilas n’est plus dans les rets d’une brute à la main lourde, Mo ne sera pas interné, Fane va pouvoir écrire un roman policier. Il en a tant lus que ce sera facile. Mais les premières ombres apparaissent : l’arrivée de Lilas n’est pas discrète, Fane ne dessoûle pas et les voisins, le frère et la sœur Voke, comptent bien pouvoir enfin acheter la vieille baraque située entre leurs deux garages automobiles.

Pierre Pelot adapte son propre roman, L’Été en pente douce, paru en 1980, rendu populaire grâce au film éponyme de Gérard Krawczyk (1987). Sans rien changer à l’intrigue, il retravaille certains personnages et épisodes. C’est Jean-Christophe Chauzy, collaborateur à Fluide Glacial, qui illustre et fixe l’atmosphère torride - dans tous les sens du terme – de ce récit tout en tension.

L’immersion et le plaisir de lecture reposent sur trois éléments parfaitement conjugués. D’abord, il y a la construction lente et progressive des personnages : Fane, looser rêveur et décalé, mais non dénué d’un certain panache ; Mo, aux « cases emmêlées », qui doit autant au Quasimodo de Victor Hugo qu’au Lenny de John Steinbeck, entre sincérité des sentiments et épaisseur de l’attitude ; et ne surtout pas oublier Lilas, aguicheuse, sensible, naïve, qui souhaite avoir des enfants et qu’on arrête de lui taper dessus.

Ce sont ensuite les dialogues, percutants, drôles ou attendrissants, qui révèlent la complexité des femmes et des hommes et leur difficulté à comprendre le monde. Omniprésents, se répétant ou donnant l’impression de tourner en rond, ces échanges sont leur seule ressource. Les individus n’ont aucune prise sur la réalité, ils n’ont plus que les mots. Alors, ils en usent et en abusent, en des monologues têtus dans lesquels ils crient leurs craintes, leurs espoirs et leurs haines. Il s’agit de dire les choses de peur qu’elles n’arrivent pas ou de tenter de conjurer le sort.

Enfin, le dessin de Jean-Christophe Chauzy lie et sublime l’ensemble. Ses magnifiques aquarelles font cohabiter des couleurs chaudes et des faciès cassés. La luxuriance de la végétation est un contrepoint au désir charnel traversant l’album. L’obscurité du garage des Voke renvoie à la noirceur des âmes, la lumière crue rend palpable la température excessive et l’atmosphère oppressante, qui exacerbent les systèmes nerveux et fatiguent les patiences.

Pelot et Chauzy livrent, avec L’Été en pente douce, ce que la bande dessinée est capable de meilleur dans le registre du polar français. On pense aux duos Cabanes-Manchette, Charyn-Loustal ou Malet-Tardi. Au-delà d’une intrigue irrésistible, c’est un retour impitoyable sur notre société ainsi que sur l’éternelle et difficile socialisation de l’être humain.

Moyenne des chroniqueurs
8.0