Edelweiss (Mayen/Mazel) Edelweiss

O lympe est une jeune femme issue d'une famille aisée, féministe avant l'heure, qui revendique son indépendance et rêve d'ascension du Mont Blanc. Edmond, ouvrier comme son père, cherche à s'établir et rêve d'un quotidien bien tranquille. Entre les deux, les différences sont nombreuses. Pourtant, ce soir d'été 1947, lorsque leurs regards se croisent et qu'ils se retrouvent, tout est déjà écrit. Une vie d'amour les attend, même si elle ne sera pas de tout repos.

La dernière planche de Lucy Mazel, parue dans Les éléphants rouges (deuxième tome de la série Les Communardes, chez le même éditeur), laissait la sensation d'avoir croisé une artiste en devenir, au style reconnaissable, teinté d'une sorte de réalisme finement exagéré. Un petit quelque chose de Jordi Lafebre (Les beaux étés, La mondaine) dans le trait avec des couleurs surannées collant à merveille à l'époque. À la vue des premières pages d'Edelweiss, difficile de ne pas éprouver le même plaisir, décuplé. En effet, l'artiste paloise continue dans cette voie et les progrès affichés sont nets. Son trait a pris de l'assurance, et sa mise en page en expérience : souvent sobre, parfois inventive, à chaque fois élégante et maîtrisée. Encore plus précis, les visages ont gagné en expressivité et chaque attitude, chaque regard paraissent authentiques tandis que son travail sur la colorisation fait à nouveau mouche, donnant à l'ambiance après-guerre une crédibilité appréciable. De même, les paysages, notamment de montagnes, comme les costumes, sont très réussis. De surcroît, le soin qu'elle porte au traitement de la lumière, réelle ou artificielle, est tout simplement bluffant. Mention spéciale à certaines pleines pages (dont celles de titre), véritables tableaux, qui habilleraient plus d'un mur de bédéphile. L'ensemble est équilibré, toujours juste, et contribue à merveille au charme du récit imaginé par son complice.

Car l'intrigue de Cédric Mayen possède tout ce qu'il faut pour emporter l'adhésion. Même si la période couverte est assez longue, il concentre son propos sur une simple histoire d'amour. Simple ? Pas vraiment, tant les soubresauts de cette idylle seront nombreux et entreront en résonance avec le passé de la France. L'affirmation de la classe ouvrière, la lutte pour l'émancipation des femmes, l'importance du service militaire ou l'entrée dans une économie capitaliste servent de toile de fond à sa trame. Par-dessus ces éléments, le scénariste plaque avec talent les aléas de la Vie. La difficulté d'un mariage hors classe et le poids des convenances, le choix de la parentalité puis ses difficultés, l'amitié, et au milieu, toujours l'amour et la montagne. Raconter toute l'existence d'un couple peut sembler banal ; ici pourtant, l'auteur parvient parfaitement à faire ressentir chaque choix, chaque épreuve, chaque tourment avec une force incroyable. Le lecteur se prend à vibrer, espérer, pleurer, regretter, rire, bref, à vivre avec Olympe, Edmond et les leurs. Sans jamais tomber dans l'excès, il préserve un difficile équilibre pour bien raconter sans en faire trop. Cette fluidité dans la narration repose également sur le bon tempo avec lequel les événements se manifestent. Jamais trop vite, jamais téléphonés, lorsqu'ils se produisent, ils surprennent, emportent ou troublent. Et tant pis si certaines rencontres semblent bienvenues, une fiction a cela de magique que tout y est possible si c'est bien présenté. Il y arrive avec justesse en immergeant le lecteur du début à la fin des quatre-vingts planches.

Si la qualité d'une œuvre se mesure à l’éventail et à l'intensité des émotions qu'elle procure, Edelweiss atteint, à n'en pas douter, des sommets.