Le coup de Prague

J ean-Luc Fromental et Milee Hyman remettent au goût du jour le thriller d’espionnage avec Le coup de Prague. Pour cela, ils ont convoqué non moins qu’un maître du genre : Graham Greene. En effet, en offrant le scénario du Troisième Homme à Carol Reed, ce dernier participa à un des films noirs majeurs du cinéma mondial. De plus, après avoir été lui-même un agent du MI-6 pendant la guerre, l’écrivain ne cessa durant le reste de sa carrière de courir les points chauds de la planète dans le but d’en retirer des impressions et nourrir ainsi ses romans. Rempli de zones d’ombre et de mystères, le personnage était trop beau pour le laisser de côté.

En cet hiver 1948, G. débarque donc dans une Vienne glaciale encore occupée, pour de soi-disant repérages…

À la frontière de la biographie et du fantasme de scénariste, l’ouvrage se révèle immédiatement captivant. La ville, d’abord. La capitale autrichienne, gérée conjointement par les vainqueurs du jour, se relève difficilement de la défaite du Reich, tout en étant l'épicentre des nouvelles tensions entre les deux blocs. Comme à Berlin, Occidentaux et Soviétiques se regardent en chiens de faïence en se demandant comment profiter de la faiblesse de l’autre pour avancer ses pions. Dire que l’atmosphère est pesante n’est qu’un joyeux euphémisme ! Les hommes ou, plutôt les ombres, ensuite. Dans ce grand terrain de jeu, tout le monde scrute tout le monde, des silhouettes apparaissent succinctement sous les portes cochères, alors que de grosses berlines filent dans les allées. Une fois le soleil couché, les coups de feu ne sont pas rares et, au petit matin, chaque camp fait ses comptes. Qui espionne qui et pour le compte de qui ? Chut ! « On ne peut révéler ce qu’on ignore. »

L’intrigue, retorde et terrible à souhait, se déroule en parallèle avec les allers et venus du héros sur les lieux de tournage de la future production. Les cinéphiles seront aux anges en reconnaissant ici et là des plans devenus iconiques depuis. Sans jamais se montrer trop envahissant, Hyman sème indices visuels et autres clins d’œil d’une manière admirable. Par contre, il ne peut pas grand-chose face à la narration parfois lourde de son comparse. Même si les mots jouent un rôle important pour planter l’ambiance glauque du récit, ceux-ci s’avèrent quelque peu envahissants, alors qu’un ou plusieurs hors-textes judicieusement posés auraient tout aussi bien fait l’affaire. Malgré ce bémol secondaire, la tenue générale de l’album se montre particulièrement impressionnante. Le livre forme un tout d’une homogénéité sans faille où les dessins et les récitatifs se complètent à l’unisson.

Un délicat mélange entre réalité et fiction parfaitement dosé, une distribution finement pensée (Greene en premier lieu, mais il est impossible de passer sous silence l’extraordinaire Elizabeth Montagu) et une réalisation graphique de haut niveau, Le coup de Prague en impose et convainc. Une excellente lecture à faire avec Le Thème d'Harry Lime d’Anton Karas sur la platine, évidemment.

Moyenne des chroniqueurs
7.5