Titan

2192, Homestead, quelque part dans le système solaire. Joao, cadre pour une société minière, visite une colonie spécialisée dans l'extraction d'hydrocarbures. La concession n’est plus aussi lucrative que naguère et le climat de travail y est déplorable. Elle est exploitée par les Titans, une race de géants, mais une minorité de Terrans occupe les postes de direction et fait la loi. Les ouvriers, rustres, sont divisés. Une partie a envie de se révolter contre ce patronat tyrannique, l’autre envisage plutôt de collaborer pour transformer les installations afin d’accroître la productivité et, elle le souhaite, sauver son gagne-pain.

Dans ce récit de l’Américain François Vigneault, le décor spatial est un prétexte pour aborder, sans le nommer, le néolibéralisme et de ses conséquences, par exemple la délocalisation des entreprises et les salariés jetables. Il y est également question de révolution prolétarienne et du droit à l’autodétermination des peuples. Les personnages ont une belle densité et leurs motivations sont ambiguës. Ils observent, réfléchissent, raffinent leurs points de vue… et retournent parfois leurs vestes. Bref, le propos est ambitieux et le scénariste, qui signe ici sa première œuvre, tire très bien son épingle du jeu.

Le Québécois d’adoption réalise aussi les illustrations de ce roman graphique. Son dessin, inspiré de l’underground états-unien, évoque celui de Julie Doucet ou de Robert Crumb. Beaucoup de gros plans et peu de vues d’ensemble dans ce monde lointain et oppressant. Le coup de crayon est nerveux, personne n’est beau et chacun est un peu grotesque. La bicolorisation en mauve est douteuse, mais le lecteur finit par l’oublier, même s’il est perplexe devant ce choix chromatique, a priori tendre, alors que l’univers est hyper-violent.

Avec une distance de 200 ans et quelques millions de kilomètres, l’auteur pose un regard lucide sur le début du XXIe siècle.

Moyenne des chroniqueurs
7.0