Paiement accepté

I ntrigant album « mille-feuilles » que Paiement accepté, Ugo Bienvenu y mélange un âpre récit psychologique avec une description passablement technique de l’industrie du cinéma, le tout dans un creuset où anticipation et chronique socio-culturelle se côtoient naturellement. Jeu de piste pour désarçonner le lecteur ? Même pas, il s’agit simplement d’un roman (dessiné) finement construit et raconté.

Très voisin d’une certaine littérature contemporaine, l’ouvrage recèle de nombreuses qualités, tant stylistiques que thématiques. En effet, l’auteur de Sukkwan Island a choisi un cheminement narratif ambitieux et parfois exigeant pour dérouler son propos. Si le nœud central de l’intrigue s’avère conventionnel – un homme comblé par la vie doit se remettre en question après un grave accident -, le développement des événements et, surtout, la richesse des pistes narratives, rendent la lecture prenante et très enrichissante, particulièrement pour ceux que les enjeux sociétaux interpellent. Évidemment, ce type de récit « intello » peut rebuter. Pourtant, en y regardant de plus près ou en osant franchement s’y plonger, l’histoire se révèle profondément touchante. Le héros, un créateur génial à l’ego démesuré, se retrouve face à lui-même et est forcé de réapprendre, avec l’aide de quelques personnages secondaires pertinents, ce qui fait le sel de l’existence. Candide n’est pas loin et le salut de l’âme, plus proche que l’on croit.

L’approche graphique néo-classique – le trait rappelle agréablement Paul Gillon ou Raymond Poïvet – et le traitement des couleurs façon Daniel Clowes donnent un cachet suranné et intemporel à l’ensemble. Le dessinateur met également à bon escient son expérience dans le dessin animé avec des cadrages larges, très « cinémascope ». Ce découpage typé apporte du mouvement et un réel sens de l’espace à ces pages où inventions futuristes étincelantes accompagnent et secondent des êtres humains de chair et d'os.

Œuvre de son temps, Paiement accepté réunit, sous le couvert d’une fable universelle, toutes les angoisses et les interrogations du monde actuel, de la fin des ressources naturelles aux limites du transhumanisme, en passant par l’éternelle quête du bonheur et de l’amour des siens.

Moyenne des chroniqueurs
8.0