Duel (Farace) Duel

S 'en sortiront-ils un jour ? Dépasseront-ils cette querelle intestine qui, à force de traîner, s'est enkystée, créant une gangue de rancune tellement solide que la situation est devenue inextricable ? Deux militaires unis sous la même bannière, pour la même nation, mais incapables de surmonter leurs inimitiés primaires, se retrouvent encore et toujours dans un face à face sans fin.

Souvenez-vous, c'est sous l'Empire que tout commença, dans la ville de Strasbourg. Tandis que Napoléon enchaîne conquêtes sur conquêtes, Gabriel Féraud cumule ces joutes sous témoins pour la moindre peccadille. L'honneur n'a pas de prix pour ce Gascon au sang chaud et fort en gueule. Mais l'Empereur a dit : plus de duel ! La France a besoin de tous ses soldats pour la défendre ! C'est ainsi que le jeune lieutenant Armand d'Hubert se voit chargé par son supérieur de remettre dans le droit chemin et tenter de raisonner l’incontrôlable officier. Mais, ce soir-là, lors d'une réception de Madame de Lionne, la susceptibilité de Féraud va atteindre son apogée. Lui, issu du peuple, se faire insulter de la sorte par un nanti ! Dans l'impossibilité de laisser passer un tel affront, il exige de croiser le fer pour effacer l'outrage. C'est le début de l'escalade pour ces hommes, futurs meilleurs ennemis. Vanité ou bêtise : laquelle triomphera ?

Ce roman graphique est l'adaptation d'une nouvelle de Joseph Conrad, elle-même inspirée d'un fait divers. La ligne directive simple permet à Renaud Farace de développer et d'enrichir avec quelques libertés le thème du « choc des Titans ». Les circonstances sont à chaque fois différentes (arme, lieu, degré d'intimité), cette variété introduit une ambiance particulière et évite habilement la monotonie délétère de la répétition. La personnalité des acteurs se complexifie au fil des années et de leurs confrontations. Tels le Yin et le Yang, ils s'opposent, se complètent et ne peuvent exister l'un sans l'autre. En effet, au lieu de les séparer, leurs différences invitent à les confondent. Néanmoins, leur entêtement aveugle est à la hauteur du respect qu'ils se portent ce qui préserve leur humanité. Il ne faut pas oublier la petite touche d'humour de la dimension romantique qui apporte de la légèreté, car, derrière chaque homme, il y a la femme...ou les femmes. Féraud collectionne les liaisons comme les médailles pendant que Hubert, gauche, reste englué dans la phase de la cour. Les faits historiques servent naturellement de trame au drame et l'ancre dans le réel et l'universel. Le piquant de certaines scènes sociales et les réactions des protagonistes secondaires qui alimentent les rumeurs sont bien utiles pour lever la tension inhérente. Enfin, qualité non négligeable, les dialogues ciselés rendent hommage à la langue française.

Le réalisme des décors, avec sa minutie de détails, se libère de sa rigueur et donne une représentation plus libre et passionnée quand il s'agit d'illustrer la nature, notamment la toundra russe. Les personnages, quant à eux, sont traités de manière plus caricaturale mais ne perdent nullement de leur précision ou de leur finesse. L'encrage renforce la densité des jeux d'ombre. Le sens de la mise en scène est indéniable, le choix du découpage et le cadrage en témoignent, c'est pétulant. Le noir et blanc voit le rouge s'inviter et s'imposer dans les scènes d'affrontement, prédisant le premier sang.

« L'orgueil est comme un vent d'orage, plus on lui oppose de résistance, plus il devient violent *». Cet ouvrage à la lecture dense et riche s'attelle à explorer la psychologie humaine dans le contexte du règne napoléonien. Il mérite amplement que le lecteur prenne le temps de savourer chaque page pour mieux apprécier le fond et la forme. Flamboyant.
*Alfred Auguste Pilavoine

Moyenne des chroniqueurs
7.3