Le travailleur de la nuit Le Travailleur de la nuit

A lexandre Jacob (1879 – 1954) est un véritable héros romantique et c’est de cette manière que Matz et Léonard Chemineau l’ont abordé et raconté. Oui, évidemment, c’est également un libertaire qui volait les riches pour aider les pauvres (et qui aurait, selon la légende, influencé Maurice Leblanc dans la création d’Arsène Lupin). Un forçat également, qui survécut au bagne de Cayenne et qui participa à la campagne de dénonciation de cette prison ignoble. Et, plus généralement, une figure de l’anarchisme qui se moquait de toutes formes d’autorité, osant même, en plein procès, des saillies bien senties à ses juges. Jacob est tout ça, mais, avant tout, il forme un destin extraordinaire, plus grand que nature, qui ne peut que passionner artistes et créateurs. Le travailleur de nuit est donc une épopée romanesque remplie de fracas et de rebondissements, dont les faits se trouvent être incidemment avérés, ou presque.

Paradoxalement, mais sans vraiment gêner tant la lecture est captivante, cette approche grand-public fleurant bon les feuilletons de Ponson du Terail et d'Eugène Sue manque parfois de souffle. En effet, peut-être trop respectueux de son sujet, le scénariste n’ose pas franchir le pas de la fiction pour rester dans le réel ou, du moins, une vision de celle-ci. Il s’agit d’une biographie, d’un biopic comme on dit ces jours-ci, pas d’un récit d’aventure. C’est presque dommage, car le potentiel dramatique de cette trajectoire est tellement gigantesque : marin à onze ans, imprimeur-conspirateur à seize, monte-en-l’air audacieux un peu après, avant de passer vingt ans dans l’enfer guyanais dont il sort vivant. Il va ensuite lorgner ce qu’il se passe à Barcelone en 1936 et finalement tirer sa révérence dans une fin digne des tragédies grecques. Certes, la somme était sans doute suffisante pour ne pas avoir à en rajouter. Par contre, un peu plus de contexte et de réactions de la part de la société en place ou de ses compagnons d'armes et de cœur n’auraient pas été inutile.

Graphiquement, les aquarelles de Léonard Chemineau retranscrivent avec chaleur et précision les différents épisodes de cette épopée, aussi bien en mer que sur les toits de Paris ou sous le soleil implacable de l’équateur. De plus, la mise en page, souvent acrobatique (angles de vue hardis, gros-plans incrustés dans l’action, etc.), se joue plutôt habilement des nombreux dialogues et autres textes explicatifs. Au final, les planches sont bien remplies, mais jamais étouffantes et très agréables à détailler.

Après le très expressionniste Alexandre Jacob - Journal d'un anarchiste cambrioleur de Vincent et Gaël Henry, Le travailleur de nuit offre une version peut-être plus engageante de la vie d’un des personnages les plus sensationnels de la première moitié du XXe siècle.

Moyenne des chroniqueurs
7.0