L'esprit du camp 1. Tome 1

A ïe ! Six semaines d'enfer se profilent à l'horizon pour Élodie. Cet été 1994, direction le camp du lac à l'ours pour un job de surveillante, imposé par sa mère. À l'idée de quitter sa meilleure copine pour se coltiner une bande de caves comme collègues, des gamins en furie, puis un directeur soixante-huitard sur le retour aux plaisanteries épaisses, la jeune fille est franchement dépitée. Il ne faudra pas non plus compter sur ses connaissances limitées en botanique, elle est du genre à croire que la mycologie est une maladie honteuse. Dès son arrivée, elle est mise aussi sec au charbon par un sextuor de maudites petites rouquines surexcitées qu'elle doit prendre en charge. S'il n'y avait que ça ! Entre Magalie au caractère d'adjudant et Bernier le gino bin niaiseux, tout le monde semble ligué dans le but de lui pourrir l'existence. Contre toute attente, après une période d'adaptation déstabilisante, la scoute en herbe à pogné la twist ! (comprenez : elle s'est habituée). La cohabitation difficile s'est progressivement transformée en entente cordiale, Catherine la parfaite est sympa finalement, et les mouflets se révèlent étonnamment attachants une fois apprivoisés. Néanmoins, d'étranges phénomènes se manifestent au sein de la forêt et le responsable du campement, avec son comportement louche, la fait sacrément capoter. Tabarnak ! Les esprits sylvestres ne semblent pas être qu'une légende...

Michel Falardeau (Mertownville, French kiss 1986, Le domaine Grisloire), entame une nouvelle série qui reprend ses thèmes de prédilection : l'adolescence et ses "émois, et moi et moi" sur un voile fantastique, sans oublier une pincée d'humour pour pimenter le tout. À partir d'une base classique de «les jolies colonies de vacances» et son lot de clichés bien scotchés (la guitare qui démange autour du feu, la chasse au trésor piteuse, les garnements justes insupportables, les dortoirs transformés en souks...), il réalise un cocktail pétillant de drôleries et de péripéties qui fleurent bon le vécu. La force du scénario réside dans l'habileté à doucement faire basculer ce quotidien pittoresque en un quelque chose de beaucoup plus intrigant et mystérieux qu'il n'en parait. Si les monos sont stéréotypés un brin, ce n'est que pour mieux les faire évoluer vers une personnalité plus complexe, nuancée et CQFD, plus intéressante. Élodie, renfrognée, solitaire rebelle et misanthrope sur les bords va se révéler être exemplaire de courage en affrontant ses phobies et réussir à retourner ses faiblesses en atouts. D'autres personnages se détachent également en contraste, Catherine par exemple, spontanée, empathique et assez intelligente pour rester subtile et surtout ce dirlo qui semble avoir mangé un clown éméché un soir de pleine lune. Le lecteur nostalgique sera séduit par les quelques clins d'œil de l'époque (musique, films...). Ah, Star wars, Megadeth, Nirvana et autres douceurs... Un atout de l'ouvrage à ne pas négliger : les dialogues piquants et savoureux à la fois, propices à donner la banane, sans oublier les mots typiques qui apportent une touche d'exotisme vraiment sympathique (pas d'inquiétude, un glossaire est inséré au début de chaque chapitre). Les extraits de journal intime induisent un glissement dans la peau de la frêle héroïne et font ressentir son mal-être.

L'artiste complet reste fidèle à son coup de crayon : simple et fluide qui donne vie aux silhouettes longilignes, des visages aux traits -si besoin- exagérés pour accentuer les expressions. Les caricatures et les gags visuels sont bien dosés, évitant le gavage tout en sauvegardant la finesse. La colorisation a été délégué à Cab. Les teintes fraîches et vives en aplats donnent un rendu plein de peps.

«L'esprit du camp», ou comment tomber de Charybde en Scylla au pays des caribous. Au premier abord : une comédie drôle et légère, mais qui vire peu à peu au wild. Souris puisque c'est grave, car les dernières cases laissent présager un changement de taille.

Moyenne des chroniqueurs
6.5