Streamliner 1. Bye-bye Lisa Dora

Q uelque part au bord de la route 666, le vieil O'Neil a installé sa station-service, Lisa Dora. Ce petit bout de désert perdu est devenu le paradis de Cristal, sa fille. Alors lorsqu'une bande de Streamliner débarque dans leur propriété privée pour en profiter et désigner leur nouveau chef, les événements s'enchaînent et s'emballent tant et si bien que la situation prend rapidement une ampleur hallucinante. Comme si ça ne suffisait pas, la jeune femme va devoir s'impliquer plus qu'elle ne le voudrait pour rattraper les bourdes de son ivrogne de père. Faîtes chauffer les moteurs !

Fane a décidé de se faire plaisir : grosses cylindrées, shorts rikiki, le FBI, sueur et poussière, la TV, des flingues et une sacrée bande de bras cassés ! Pas convaincu ? Pourtant, le résultat est là. Passionné de sport mécanique, le repreneur de Joe Bar Team propose une histoire où toutes ses influences se mêlent pour accoucher d'un véritable page-turner. L'intrigue peut paraître sommaire - un groupe de pilotes investit un endroit hors de toute juridiction pour organiser une course dont le vainqueur désignera leurs nouveau leader - mais elle a le mérite de faire découvrir une discipline apparue dès les années 20 (d'abord pour les trains) et popularisée outre-Atlantique entre les années 30 et 50 par ces coureurs de l'extrême.

Forcément, rien ne va se passer comme prévu et à mesure que tout se met en place, les éléments perturbateurs, tous plus improbables les uns que les autres, s'additionnent. Le lecteur se trouve ainsi embarqué dans un engrenage loufoque avec un plaisir complice. Car, en plus d'un rythme qui décoiffe, l'auteur s'offre une belle galerie de barjots : le leader cool, le second hargneux, l'ex-copine revancharde, le gangster en cavale, les flics infiltrés, les motardes sexy et dangereuses et, bien sûr, la jeune tenancière un brin hystérique flanquée de son père totalement à l’ouest en quête de sa gloire passée. Un beau plateau donc, à la fois drôle et fun, dont les caractères sont souvent exagérés, décalés voire étranges. Pour couronner le tableau, ces personnages au langage fleuri possèdent toujours la détente à portée de doigt. Le cadre également a son importance, un no man's land devant les portes duquel la loi s'arrête, où la station-service trône à l'ombre d'un bombardier (!), au bord d'une voie, certes imaginaire, mais qui rappelle furieusement la mythique Mother Road chère à Steinbeck. Rock'n roll, western, gangster, chacun y trouvera ses références mais il semble clair que celles de l'auteur ont été longuement mûri (les premières esquisses datent de 2014) pour n'en présenter que le meilleur.

Côté graphisme, l'artiste enfonce le clou. Le trait est lâché, les expressions marquées et les mécaniques soignées. La colorisation, essentiellement en aplats, d'Isabelle Rabarot dans l'esprit de ce qu'elle proposait avec Niourk, le découpage qui accentue le côté foutoir et le chapitrage (huit en tout pour ce premier tome) sonnent comme un hommage aux comics. Enfin, édité par Rue de Sèvres et Comix Buro, l'objet proposé est fignolé, avec une illustration pleine page à chaque nouvelle partie, fausse pub vintage, papier glacé épais pour une copieuse pagination (cent cinquante-quatre planches couleur).

Premier acte du diptyque, Bye-bye Lisa Dora sent bon la testostérone, l'huile de moteur et l'aventure. Fane réussit son pari et offre à ses lecteurs un divertissement jubilatoire aux inspirations et clichés assumés. De quoi bien s'amuser et donner envie de passer la seconde en septembre avec All-in Day et l'issue de cette course folle.

Moyenne des chroniqueurs
7.0