Bob Leclerc (Les aventures de) 1. Le Cauchemar argenté

J uillet 1959. La guerre contre les Asiatiques est terminée depuis un petit moment. Les tensions sont encore palpables, mais dans l’ensemble les relations internationales semblent au beau fixe, même si chacun se méfie des communistes. La société de consommation se met en place et les gens sont heureux. C’est dans ce contexte que le capitaine Bob Leclerc est recruté pour affronter un ennemi qui s’annonce plus redoutable que les « Jaunes » : les Martiens, lesquels ont déjà entamé leur colonisation de la Terre. Le paladin se rend à Cotopaxi, un endroit secret, probablement sur la Côte-Nord du Québec, pour recevoir un entraînement physique et technique au terme duquel il prendra les commandes d’une fusée en direction de la planète rouge.

Le pavé est impressionnant. Plus de deux cents pages pour le premier volume. Le second, tout aussi imposant, est attendu dans quelques mois. La majeure partie de l’histoire se déroule pendant la préparation des cosmonautes. Outre le héros, Sam, Vaughan, Susan et Wang s’apprêtent à sauver le monde (ou du moins à détruire celui des extra-terrestres). Peggy Lalonde, la médecin dépressive, aurait rêvé être de l’expédition et accepte mal qu’on lui préfère un « bridé ».

Ce bouquin est à certains égards une synthèse de la science-fiction classique. D’emblée, il est inévitable de tracer des parallèles avec la précision technologique présentée dans certains albums d’Hergé (Objectif Lune) ou Jacobs (Le secret de l’Espadon, SOS météores). Le rythme, très lent, rappelle le travail de Stanley Kubrick (2001, l’odyssée de l’espace) et Andreï Tarkovski (Solaris), sans que le résultat soit aussi métaphysique que celui des deux cinéastes. Enfin, la raideur des acteurs ne manque pas d’évoquer celle de Lady Penelope et ses acolytes dans Les Sentinelles de l’air.

Bien qu’il soit en apparence austère, le livre est fréquemment farfelu. Il est d'abord risible que le pays de Justin Trudeau soit appelé à la rescousse. L’humour se trouve par ailleurs dans les détails d’une case où le lecteur s’amuse d’une distributrice de statuettes du Frère André (une sommité religieuse locale) avec bras articulé pour lancer l’eau bénite. Il sourit lorsqu’il découvre le ton ampoulé du journal de Susan : « Cette même joie qui devait faire briller autrefois le regard du pithécanthrope au paroxysme d’une chasse fructueuse. » Sans oublier l’alcoolisme du chef de mission, Adélard Tremblay, qui, au terme d’un vol laborieux, se justifie avec monotonie : « Je suis désolé Bob. J’ai scrupuleusement vérifié le plan fixe hier soir très tard, mais j’avais bu. »

Le dessin de Grégoire Bouchard est unique. Les visages sont généralement sans expression, peu importe les circonstances, et leurs yeux se résument à deux points noirs. Les comparses sont souvent, et exagérément, à l’avant-plan ; à un tel point qu’il arrive parfois qu’ils débordent du cadre et empiètent sur les autres cases. Les décors sont d’une complexité inouïe avec des tonnes de cadrans, bonbonnes et tubes qui créent un joyeux chaos. Dans l’ensemble, le découpage est sage, le plus souvent quatre grosses illustrations. La mise en couleur repose essentiellement sur des teintes très pâles qui conviennent parfaitement à cet univers où tout est en retenue.

Le cauchemar argenté n’est pas de ces albums qui se dévore goulûment. Sans être véritablement ardu, il vaut mieux le parcourir quelques dizaines de pages à la fois pour en apprécier tous les éléments.

Moyenne des chroniqueurs
8.0