Le monde à tes pieds Le Monde à tes pieds

C arlos, David, Sarah… comme pour des milliers d’autres jeunes adultes fraîchement arrivés sur le marché du travail, l’existence se résume à une longue galère sans réel espoir d’amélioration. Diplômés, voire sur-diplômés, ils entrent dans une société en crise qui n’a rien à leur proposer. Alors, que faire ? Émigrer ? Se contenter d’un emploi anonyme et mal payé ou, carrément, mettre son amour propre de côté en échange de quelques billets rapidement gagnés ?

Après Papier froissé, Nadar continue sa réflexion sur l’Espagne contemporaine et l’effet dévastateur que la crise de 2007 a eu sur ses habitants, particulièrement ceux de la génération Y. Composé de portraits indépendants, Le monde à tes pieds offre trois trajectoires à la fois uniques et universelles. Carlos, un ingénieur qui décide d’aller tenter sa chance en Estonie, au risque de perdre celui qu’il aime. David, dont les années de chômage lui font reconsidérer ses principes moraux jusqu’au point de se prostituer pour survivre et, finalement, Sarah dont la maîtrise en Histoire comparée l’a menée aux joies contrastées du télémarketing. Inadaptés, trop ou pas assez formés, considérés comme exigeants voire égoïstes, ils surnagent au sein d’une économie qui, au bon du compte, n’en a que faire d’eux.

Il y a du Adrian Tomine et du Daniel Clowes dans ces pages. En effet, Nadar présente et décrypte chirurgicalement la mécanique interne de ses héros, en évitant de tomber dans le pathos ou le voyeurisme. Ceux-ci sont montrés sans fard, dans leur entièreté, aussi bien les bons côtés que les mauvais. En même temps, toute la tendresse et l’affection du scénariste est palpable. Il les aime et les comprend – et pour cause, il est l’un des leurs - ces êtres de papier, ça ne fait aucun doute ! Le style élégant et la mise en page originale se montrent également à la hauteur. De plus, l’attention portée aux détails du quotidien et les dialogues ciselés (la terrible tension qui ressort l’explication de Sarah avec ses parents, par exemple) rendent la lecture prenante et totalement immersive.

Mini-trilogie moderne, cruelle et douce comme seule la complexité de l’âme humaine peut l’être, Le monde à tes pieds se révèle être une œuvre totalement aboutie. Un album rare à ranger à côté du Combat Ordinaire de Manu Larcenet et de l’escapade existentielle de la Lulu chère à Étienne Davodeau.

Moyenne des chroniqueurs
7.8