Morocco Jazz

C asablanca, 1954. Il y a comme une vent de révolte qui souffle sur le Maroc. L’Empire colonial français commence sa désintégration et les peuples ont soif de liberté. Louise, Camille et Sybil, trois amies de toujours, vont être prises dans la tourmente et devoir faire des choix, évidemment déchirants.

Julie Ricossé braque ses pinceaux vers le royaume chérifien au moment où ses habitants intensifient leurs actions pour leur indépendance. Elle profite également de l'occasion pour brosser un triple portrait de femmes dans une société machiste, quel que soit le camp. L’entreprise renvoie immanquablement aux Carnets d’Orient, la monumentale fresque algérienne de Jacques Ferrandez. Si la démarche est similaire, son envergure est plus restreinte, mais pas moins intéressante, spécialement pour les amateurs d’Histoire. Classiquement construit, le scénario tourne autour des bribes de souvenirs d’une Louise que le lecteur découvre au crépuscule de son existence en 1996, à Paris. Retours en arrière plus ou moins enchâssés, révélations qui arrivent trop tardivement, les immanquables gâchis humains engendrés par la guerre et de nombreuses scènes remplies d’émotions jalonnent les semaines où ces destins ont basculé. Bien huilée, malgré quelques facilités, la narration est prenante, particulièrement grâce à la large galerie de personnages englobant tous les points de vue. Celle-ci permet de saisir précisément les différentes sensibilités de l’époque.

Peut-être d’un accès moins facile, l’approche graphique de la dessinatrice manque parfois de précision et de netteté. Certes, l’aquarelle permet une certaine spontanéité et donne un aspect réaliste, « sur le vif », aux différents épisodes du récit. Par contre, le continuel jeu de contraste entre lumière et ombre se révèle un peu fatigant pour l’œil. Heureusement, le découpage très sage prend la relève et garde l’action bien campée sur de bons rails. Le résultat est efficace, même si un peu plus de fougue ou de tranchant dans les moments cruciaux aurait certainement donné davantage de mordant à l'ouvrage.

Appliqué et doté d’une grande sensibilité, Morocco Jazz est plus branché sur le swing de Duke Ellington que la fureur de John Coltrane, malgré l’orage que traverse le pays. Toujours est-il que l'album offre un excellent aperçu, naturellement très synthétique, d’un épisode peu connu de la décolonisation.

Moyenne des chroniqueurs
6.0