Henriquet, l'homme reine Henriquet, l'homme-reine

E n 1575, Henri III accède au trône de France. Il succède à son frère Charles IX, qui autorisa, trois ans plus tôt, le massacre de la Saint-Barthélémy. Il prend la tête d’un royaume en ruine et déchiré : les catholiques et les protestants continuent leurs querelles et les rivalités politiques se multiplient. Son règne est placé d’emblée sous le signe de la trahison, de la diplomatie tordue et de la confusion entre raison d’État et intérêts personnels. La reine mère, Catherine de Médicis, tente vaille que vaille de maintenir la cohésion du pays, pendant que son fils peine à asseoirr son autorité, montre une excentricité malvenue et va amener le peuple au soulèvement.

Après le remarquable Charly 9, dans lequel il narre la courte destinée de Charles IX, Richard Guérineau poursuit l’adaptation des hauts faits de la politique en France à la fin du XVIè siècle. Son travail repose sur une connaissance parfaite et une transcription fidèle des épisodes qui ont ponctué la période en question (1575-1589). Le point de vue choisi est celui de l’intimité du roi. L’auteur s’attache plus à mettre en scène les prises de décision politiques que les événements qui en ont découlé. Il préfère les intrigues de l’entourage royal aux champs de bataille, le machiavélisme d’antichambre aux prouesses militaires, l’ombre des alcôves à la lumière de l’extérieur.

Il peint ainsi une cour royale itinérante, emplie de perfidie, de rouages complexes, de mariages arrangés, de liaisons dangereuses où la soif de pouvoir l’emporte sur le désir des corps. C’est aussi un monde sur lequel règne toutes les superstitions, faisant au final bon ménage avec la religion, quelle qu’en soit la confession. On y lit plus facilement dans les entrailles d’un prisonnier que la Sainte Bible, réformée ou non. Dans ce monde de faux-semblants, Henri III tente d’être lui-même et de concilier les extrêmes inverses de sa personnalité et de ses fonctions. Il doit faire preuve d’autorité mais s’avère sensible. Il doit combattre mais verserait davantage vers la conciliation et le pacifisme. On lui connaît des maîtresses mais il aime être entouré de ses mignons.

Richard Guérineau parvient tout au long de ces cent quatre-vingt dix pages à rendre la complexité de son sujet. Il comble les vides laissés par la postérité avec à-propos. Il construit de véritables personnages parfaitement dosés entre la connaissance qu'on peut en avoir et la fiction. Tout en respectant scrupuleusement la chronologie des faits, il donne à chaque épisode et à chaque planche une tension qui interpelle le lecteur.

Cependant, c’est la langue utilisée pour les dialogues qui transporte et ravit à chaque case. N’hésitant pas à recourir à la syntaxe, au vocabulaire et aux truculents jurons du siècle de Montaigne et de Rabelais, il élève ainsi son œuvre bien au-delà de l’adaptation classique en bande dessinée. Enfin, c’est l’humour, omniprésent mais discret, obscène ou subtil, littéraire ou pictural (Guérinaud se plaît sur quelques planches à parodier une certaine école franco-belge ou à donner dans la blague anachronique) qui enveloppe l’ensemble, faisant de chaque page un moment de jubilation.

Des esprits chagrins pourront trouver que le livre est épais, que les intrigues politico-religieuses sont complexes ou que le niveau de langue est exigeant. Il demeure au final une anthologie où Histoire, appropriation de celle-ci par un auteur inspiré, plaisir des yeux et du verbe, se rejoignent dans l’intelligence cynique et le rire gras de Gargantua.