La jeunesse de Staline 1. Sosso

M oscou, 1931. Déambulant dans les couloirs d’un Kremlin désert, Staline se souvient du coup d’éclat de sa bande d’activistes qui mit Tiflis, la principale ville de Géorgie, à feu et à sang le 13 juin 1907, et, plus loin encore, des années qui l’ont mené à cet instant fatal. À l’époque, il n’était que « Sosso », le seul fils survivant de la trop belle Ekaterina et de Besso Djougachvili, le cordonnier du petit village de Gori, né durant l’hiver 1878. Disgracieux, battu par un père qui boit trop et se croit cocu, le garçon n’en montre pas moins une certaine facilité pour les études mais présente aussi une fameuse aptitude à ruer dans les brancards.

Avant d’accéder au pouvoir, même les pires dictateurs ont été des enfants puis des adolescents. Iossif Vissarionovitch Djougachvili (1878-1953), plus connu sous le pseudonyme de Staline (« L’homme d’acier »), n’échappe pas à cette règle. Dans Sosso, Arnaud Delalande (Le dernier cathare, Les reines de sang. Aliénor) et Hubert Prolongeau (Cagliostro) se penchent donc sur les jeunes années du Géorgien qui fit trembler son pays et le monde. À l’instar de Fabien Nury dans La mort de Staline. Une histoire vraie… soviétique, le duo ne fait pas dans la dentelle et dresse un tableau aussi documenté que peu amène du futur despote.

Les premières pages donnent le ton. Celui d’un hold-up sanglant mené de main de maître par un Iossif, bientôt trentenaire, qui a tout d’un gangster. Le lecteur découvre ensuite ce qui l’a conduit là par le truchement de mémoires qu’il dicte à un fonctionnaire effrayé. Et là, le bond dans le passé dévoile un personnage coriace, rebelle et déjà doué pour mener à bien ses desseins. Certes, les accidents, nombreux, qui le laissent amoché, les origines humbles et l’alcoolisme paternel constituent autant de fardeaux. Cependant, la nature bagarreuse et la propension du gamin – puis de l’adolescent – à utiliser ses camarades plus costauds pour s’en prendre à autrui ou à l’autorité s’étalent tout au long de l’album. De même, les auteurs soulignent le goût du jeune Djougachvili pour les connaissances livresques et sa passion enflammée envers les coutumes géorgiennes et un hors-la-loi du cru en particulier. N’est pas oublié non plus son travail comme ouvrier dans les usines… Rotschild, avant son passage à l’activisme pur et dur. Les informations sont donc nombreuses, instructives et ne nuisent en rien à la narration – chronologique après la scène-choc d’ouverture -, bien au contraire.

Le récit est porté par le dessin réaliste d’Éric Liberge (Monsieur Mardi-Gras Descendres, (Wotan) qui livre des planches fouillées aux cadrages variés. Son trait sans complaisance s’avère expressif et n’embellit rien, surtout pas le principal protagoniste, afin de rester authentique. Enfin, sa colorisation dans une gamme de bruns, de gris, d’ocre et de noirs, ponctuée d’éclats rouges, vient compléter le tout et créer une atmosphère sombre en adéquation avec le propos.

Avec ce premier tome, La jeunesse de Staline offre une plongée dans l'histoire d'un homme qui a marqué durablement et cruellement l'Histoire. Rendez-vous est pris avec la suite.

Moyenne des chroniqueurs
7.0