Tomoë 1. Déesse de l'eau

1461, au Japon, alors que deux chefs de clan complotent l'un contre l'autre dans l'espoir de devenir le nouveau shogun, Sayo pêche en famille. La jeune fille ne se doute pas encore du destin que lui réserve le pirate Yoshinaka : son village pillé, son peuple assassiné, celle qui se pense la réincarnation de Tomoë, la déesse de la mer, va être éduquée dans un but précis. Apprenant patiemment à maîtriser sa colère et son katana, Sayo grandit loin des manigances politiques qui affaiblissent chaque jour un peu plus Kyoto, la capitale.

Les récits sur le Japon féodal ne manquent pas dans le 9ème art. De Samuraï à Okko en passant par Les légendes des nuées écarlates ou Les contes du 7ème souffle, les styles diffèrent mais la qualité est souvent au rendez-vous. Et Tomoë semble suivre cette voie, tant Déesse de l'eau, début du diptyque annoncé, a toutes les ingrédients pour séduire.

Tout d'abord un dessin travaillé et soigné. Il est l'œuvre de Tieko qui, après Hindenburg, retrouve la collection Grand Angle, l'histoire et les conflits. Épaulé par Dominique Osuch (Les enfants de la liberté, Les guerriers de Dieu) aux couleurs, le dessinateur toulousain laisse s'exprimer son trait réaliste, sur terre et mer, avec la même aisance. Tandis que la coloriste accompagne à merveille les changements d'ambiance ou de ton, des alcôves du palais aux bateaux des Wakô, il démontre un réel talent pour mettre en image les passages intimes, calmes, mais aussi les tensions et les combats. Il s'appuie sur un découpage étudié et des angles variés pour imprimer le rythme recherché et, sans forcer son encrage, proposer de belles compositions. Ce soin se retrouve d'ailleurs dès la couverture qui annonce un mélange fiction-tradition : l'héroïne et son mentor faisant face à une vague qui n'est pas sans rappeler l'estampe La Grande Vague de Kanagawa (Hosukai).

S'appuyant sur des faits historiques, Jack Manini situe son récit avant la guerre d'Onin (1467-1477) qui marquera la fin du Shogunnat et annoncera les débuts de l'époque Sengoku. En utilisant deux trames distinctes, la première politique - avec la rivalité entre Hosokawa et Yamana - , la seconde axée sur l'évolution de la jeune femme, le scénariste chevronné construit une histoire solide et prenante. Passant d'une séquence à l'autre sans perdre en intérêt, il parvient à garder une lisibilité constante tout en étoffant son intrigue malgré le cadre dense et la masse d'informations distillées. S'il ne s'épargne pas quelques ellipses, la lecture n'en souffre pas : l'immersion va crescendo à mesure que les deux fils narratifs progressent, la dernière scène laissant entrevoir leur réunion probable. Un travail propre, sans fioriture, mais sans fausse note de la part de l'auteur de La loi du Kanun complété par un dossier de huit pages qui enrichit le contexte.

Déesse de l'eau est une entrée en matière probante. À mi-chemin entre histoire et fiction, cette première moitié envoûte autant qu'elle aiguise l'intérêt que Le miroir divin devra rassasier.

Moyenne des chroniqueurs
7.0