Le passeur (Hermann) Le passeur

S am et Samantha sont sur la route. Ils fuient un monde sans espoir, attirés par une promesse d’accéder au « Paradize », dont ils ont vaguement entendu parler, mais dont l’existence n’est pas prouvée. Cependant, il faut payer le passeur. Au moment de la transaction, la somme d’argent n’est pas suffisante. Samantha poursuit le voyage, tandis que Sam, contraint à trouver le pécule manquant, reste sur place. Sa quête se transforme alors en cauchemar et en impasse.

Le tandem composé d’Hermann et Yves H. (son fils) n’en est pas à son coup d’essai. Pour leur onzième collaboration, ils tranchent avec le ton d’Old Pa Anderson, paru il y a moins d’un an. Au sud des États-Unis, pendant les années cinquante, succèdent un espace et un temps indéterminés. L’aridité des paysages, la désolation des individus et la fuite hasardeuse comme seul salut font inévitablement penser à Jérémiah. Le phare du passeur est sans océan. Les étendues désertiques sont entourées de ténèbres. Les ombres rencontrées restent figées et muettes. Les quelques créatures qui donnent des signes de vie mêlent sensualité et difformités.

Yves H. signe là son récit le plus sombre. Entre thriller et fantastique, le scénario constitue un vaste piège qui se referme inexorablement sur le personnage principal. Maîtrisé et subtil, il balade le lecteur au fil de coups de théâtre et de questions qui ne trouveront pas toutes des réponses. Les dialogues, fort peu nombreux, tombent à point et entretiennent savamment la dramatisation.

Le graphisme d’Hermann, servi par un bon découpage, suffit pour narrer et donner à ressentir. L’artiste joue le plus souvent en terrain connu (les teintes grises et ombrageuses, les visages émaciés ou les paysages désolés). Il fait aussi preuve d’audace avec des ciels aux couleurs inhabituelles et changeantes, créant une atmosphère glauque et nauséeuse.

Le duo ose se renouveler et propose avec Le Passeur, outre une histoire prenante et réussie, une réflexion sur les promesses d’une vie meilleure, l’envie d’ailleurs et ce qu’on peut opposer à la noirceur d’individus, peut-être pas si caricaturés que cela. Parabole de ce qui agite l’âme humaine, il s'agit d'un album ténébreux, dans lequel chacun trouvera sa propre lueur.

Moyenne des chroniqueurs
6.0