Ma vie est un best-seller 1. Ma vie est un best-seller

V enue d'une succursale, Corinne est affectée au siège d'une grande entreprise publique où elle découvre les mécanismes du New Public Management : langue de bois, jargon et absurdité de l'efficience qui aboutit à un néant de productivité. La nouvelle recrue glande. Elle glande tellement qu'elle finit par en écrire un roman qui se veut un mode d'emploi de la fainéantise au travail.

Totalement autobiographique, Ma vie est un best-seller raconte les conséquences et les aléas d'un succès rapide en librairie. Très vite, l'auteur est prise dans un tourbillon médiatique, alors que son éditeur gaspille les recettes dans des investissements pharaoniques et hasardeux. Corinne suscite surtout la haine et l'incompréhension, chacun semble s'abstenir de lire son livre et lui prête les propos qui l'arrange, comme dans cette scène emblématique où, rendue muette par la force des choses, elle est prise en otage entre la CGT et le patronat.

L'intérêt de cette success-story douce-amère vient de cette habilité à croquer des personnages hauts en couleurs, comme son chef, servile, et emblème de ce néo-management du vide intellectuel sorti des grandes écoles : survolté, maniant l'anglais mal-à-propos et cultivant l'idiotisme. À l'opposé, Pierre, le dandy à l'ancienne, dernier vestige d'une certaine noblesse de l'entreprise, amoureux de la belle langue et de l'efficacité, qui, à quelques mois de la retraite, prend les choses avec une désinvolture grandiose. Les célébrités de la télévision sont elles aussi passées à la moulinette de ce jeu de massacre. Hélas, malgré l'humour, il est difficile de s'attacher au personnage. Celle-ci peine à se faire entendre et agace avec son côté très détaché ; peut-être est-ce un effet de contraste donné par un auteur qui a voulu écrire un livre pour rire et qui se retrouve, malgré elle, jouet et symbole des idéologies économiques qui s'affrontent. Comme quoi, le succès dont beaucoup rêvent n'est pas forcément une sinécure.

Aux crayons, c'est le retour d'Aurélia Aurita, dessinatrice qui a connu, elle aussi, les affres d'une célébrité soudaine. Elle s'amuse à ponctuer son dessin dynamique en noir et blanc de petites taches de couleur, comme un jeu de piste qui mène à la libération finale.

Rencontre survoltée entre deux femmes qui ont connu une expérience identique, Ma vie est un best-seller n'invente rien sur le broyage médiatique du succès, mais sait joliment le raconter via l'absurde.

Moyenne des chroniqueurs
6.0