Normal

J oann Sfar aime dessiner, partout, tout le temps, et aussi donner son avis, toucher à tout comme ses incursions, souvent récompensées, dans le domaine du roman ou du cinéma en témoignent. Son rythme de production effréné de la dernière décade en matière de bande dessinée s’est d’ailleurs ralenti au gré des infidélités faites au 9ème Art pour se jeter dans les bras de ces nouvelles maîtresses.

Le format du dessin de presse correspond probablement bien au caractère compulsif du croqueur de carnet et Normal, petit recueil de dessins publiés à l'origine sur Instagram, est aussi plus léger, au moins au sens propre, que les carnets précédemment parus à L’association ou Le Journal de merde proposé dernièrement par Dargaud. Une partie des bédéphiles amateurs de longues histoires de l'auteur le déploreront peut-être, n’ayant eu récemment à se mettre sous la dent que la conclusion de la mythique série Donjon (Delcourt) pour un plaisir mitigé. La question de savoir si toutes les sagas gagnent à être achevées après des années de mise en sommeil plutôt que de rester éternellement en suspens pour que la légende demeure intacte et le souvenir plus beau, les effleurera.

Qu’est-ce ou plutôt qui est-ce qui est « normal » de nos jours ? D’un slogan digne d’une réclame qui n’a dupé que ceux qui croient aux promesses électorales, Joann Sfar fait un trait de caractère sincère d’un homme à la fonction exceptionnelle. À l'approche de la soixantaine, celui-ci replonge dans un état de béatitude propre à ceux dont le cœur bat la chamade pour une récente conquête et son allégresse éclabousse son entourage. À mille lieues de l’ennui que peut procurer un cliché volé étalé dans un magazine people, Sfar, qu’on imagine sourire aux lèvres pendant son exercice quotidien, brode des bouffées d’allégresse plutôt que des états d’âme, des instants dans l’alcôve complices, parfois torrides, des laisser-aller publics aussi fantaisistes qu’improbables. Le ton est vif mais finalement respectueux, les instantanés dépeignent un véritable « Monsieur tout le monde », plus taquins que véritablement offensant ou sacrilèges.

L’homme public (on n'ose à peine dire d'État) n’en ressort ni grandi, ni accablé. À chaque lecteur, selon ses convictions, de résister ou non à la tentation de faire de ce recueil d’apparence innocente autre chose que le reflet d’un épisode éphémère appartenant à la sacro-sainte sphère privée. Manipulateurs, certains liront entre les lignes et le transformeront en premier bilan de son quinquennat : léger, centré sur les relations humaines, plus banal et ordinaire que simplement normal. Les mêmes imagineront que, depuis dimanche dernier, les traces rouges dont il est couvert ne sont plus des marques de rouge à lèvres passionnées mais les résultats d’une gifle reçue à l’occasion d’une rupture… Épatant ce petit livre !

Moyenne des chroniqueurs
7.0