(AUT) Mattotti Hänsel et Gretel

"Ils marchèrent toute la nuit et toute la journée du lendemain, depuis le matin jusqu’au soir, sans réussir à sortir de la forêt…"

Si l’histoire de Hänsel et Gretel est sordide (la misère, la maltraitance, la tentation de l’infanticide) au début, effrayante (la nature hostile, la sorcière) au milieu, et féerique (délivrance et lumière) à la fin, ce sont les illustrations de Lorenzo Mattotti qui sont encore les plus saisissantes. Il a su rendre la terreur de deux enfants abandonnés à la nuit, dans la forêt. Il impose pour cela un va-et-vient entre un texte imprimé sur un fond virginal et, une fois la page tournée, une image comme barbouillée à l’encre des cauchemars.

Au cœur d’un entrelacs de branches, se déploie, en double page, un monde noir et mystérieux, où foisonnent des formes menaçantes et torturées, des ombres inquiétantes. Une sensation de glissement, un décor oppressant aussi. Les arbres forment des courbes puissantes, qui, à mesure que les traits s’emmêlent, semblent progressivement envelopper les personnages, les étreindre pour mieux les attirer vers le fond de l’image, à l’arrière-plan. Quelques rares lueurs vacillent, synonymes de mort, d'engloutissement.

La disparition mise en scène, c’est celle de l’enfance et Mattotti de raviver l’imaginaire des feux de camp nocturnes où se racontaient à voix basse des récits terrifiants. En se plaçant sous la coupe ancestrale du conte et de la nuit, il rend grâce à la noirceur originelle de la fable des frères Grimm. Surtout, a-t-il su en conserver la force symbolique, le message sous-jacent. Le héros de l'histoire, c’est bien l’enfant lui-même, l’enfant aux prises avec un monde qu’il lui faudra affronter, des peurs qu’il devra surmonter : la crainte de la séparation, l’angoisse de l’abandon. Mais, comme le souligne la dernière planche où la forêt s’éclaircit, où la lumière gagne à mesure qu’Hänsel et Gretel trouvent les ressources de se libérer, l’espoir est permis. "Ce qui est important dans les contes de fée", écrivait Bettelheim, "c’est que ces pulsions inconscientes, ces affects terrifiants, sont représentés par des figures, par des personnages, ou par des évènements ou des situations. Toutes ces histoires disent à l’enfant : aussi terrible que cela te puisse paraître, il faut que tu t’en ailles et sortes dans le monde. Il faut que tu quittes la maison. Tu ne grandiras jamais à moins que tu ailles courageusement affronter les dangers du monde extérieur". Parcourir avec effroi les planches de Mattotti, c’est ainsi forcer l’imaginaire à sublimer ses peurs, quitte à tuer symboliquement la mère, qu’elle prenne l’apparence de la marâtre ou de la sorcière…

Moyenne des chroniqueurs
7.5