L'héritage fossile L' héritage fossile

L e but de l’expédition ? Donner une chance à l’humanité en fondant une colonie sur Germinae, un monde habitable récemment détecté. Le problème ? Le temps estimé pour atteindre cette exoplanète est de vingt mille ans. La solution ? Un équipage de volontaires sortira de biostase tous les vingt-cinq ans afin d’assurer la maintenance de l’Héritage, l’astronef les transportant, ainsi que d’une précieuse banque d’embryons cryogénisés. Ces courageux astronautes devraient, si tout se passe comme prévu, ne vieillir que d’environ onze ans. Reste une question en suspens : même avec la meilleure des technologies à disposition, est-il possible d'anticiper toutes les situations ?

Un peu d’Arthur C. Clarke, une pincée de Cormac McCarthy et un soupçon de Dan O'Bannon (les aliens en moins) et vous obtenez un long album carré aux ambiances glacées et implacables. Une fable tragique dotée d’une fin dramatique viennent immédiatement à l’esprit. Pourtant, dès le début, le lecteur sait que la mission est arrivée à terme, peut-être pas d’une façon optimale, mais des êtres humains sont bel et bien en train d’arpenter la surface de Germinae. Par contre, si ce monde est habitable, il s’est révélé bien peu hospitalier. La jeune Nova et Reiz, un membre de l’équipage de l’Héritage, affrontent des conditions climatiques dantesques. Ils transportent et veillent également sur une partie des embryons. Leur but ? L’information viendra au fil de la lecture. En attendant, à chaque bivouac, Reiz narre à sa fille (et aux lecteurs) des fragments de l’odyssée qui l’a mené, lui et ces compagnons, sur cette terre balayée par les vents. Demi-mensonges, réalité embellie, début d’une légende ou d’une mythologie, ses mots sont parfois confus et sèment le doute dans l’esprit de Nova. Elle finira par en savoir plus, tous les évènements ont été scrupuleusement enregistrés et elle aura bien un jour ou l’autre accès aux disques de mémoire du vaisseau. Pour l’instant, malgré leur fatigue, ils s’accrochent. Le radar portatif montre qu’ils ne sont plus très loin de leur objectif.

Après un galop d’essai indescriptible (Georges Clooney) et une quête existentielle sur fond de vie de bureau et de déchiqueteuse à documents (Jean Doux et le mystère de la disquette molle), le toujours surprenant Philippe Valette revient avec un récit d’anticipation pur et dur, mâtiné de questionnements éthiques pas moins profonds. Le sujet est à la mode (cf. Deep ou La route) et tous les propos développés par le scénariste manquent un peu d’originalité ou sentent le déjà vu et lu. Cependant, la qualité d’écriture et la gestion du suspens font qu’il est impossible de poser le livre avant l’ultime révélation.

Visuellement, le dessinateur surprend une fois de plus. Les personnages sont dessinés au trait, assez traditionnellement, tandis que les décors ont été complètement modélisés en 3D. Ces éléments ont ensuite été assemblés. Il en ressort un rendu hybride assez étrange au premier regard. D’un côté, une fusée et des paysages très froids, d’une précision chirurgicale et, de l’autre, des protagonistes fragilisés et perdus aux regards apeurés. Cette opposition volontaire et assumée des styles fonctionne assez bien, même si, sur la longueur, elle s’avère un peu surjouée, presque artificielle.

Grand déploiement (près de trois cents pages), distribution à la psychologie fouillée et une proposition esthétique audacieuse très aboutie (design, ambiance) rendent la lecture de L’héritage fossile immersive et déconcertante. Un ouvrage que les amateurs de SF classique auraient bien tort de laisser passer.

Moyenne des chroniqueurs
7.0