L'Œil du Marabout

A ssise dans un avion au milieu de visages étrangers, anxieuse, une fillette s’accroche à sa poupée. Du hublot, elle voit se rapprocher le camp de Bentiu, ses miradors, ses casques bleus en armes, sa poussière et sa foule de réfugiés. Après vingt mois de séparation, Nialony y retrouve ses parents et son grand-frère Georges. Ce dernier, passionné d’art, lui fait visiter les lieux où chacun s’affaire à survivre, tandis que les membres des ONG dispensent leur aide et que, en dehors du périmètre sécurisé, le danger rôde encore.

Œuvre fictionnelle, en cela qu’elle relate une réalité tout en y apportant des éléments imaginaires, L’œil du marabout porte un regard à la fois aigu et chargé d’humanité sur le sort des populations victimes de la guerre dans le Sud Soudan. Il témoignage également de ce que Jean-Denis Pendanx (Au bout du fleuve, Mister Mammoth, Mentawaï !, Jéronimus), sur ce qu’il a vu et compris, lors du séjour qu’il a fait dans cette région en 2016 pour y animer des ateliers de dessin. Maitrisant parfaitement narration et mise en images, l’artiste plonge directement le lecteur dans l’ambiance, en jouant des plans et angles de vue pour le placer au plus près de ce que découvre sa petite héroïne. Graphiquement, tout est très bien restitué, expressif et respire l’authenticité, que ce soit l’environnement dans le gigantesque campement ou l’extérieur avec sa nature sauvage, ses villages abandonnés, ses pistes poussiéreuses où gisent çà et là des reliquats du conflit. Habillant l’ensemble, les couleurs rendent tant le côté boueux de la terre battue et des maigres ruisseaux que la luminosité verdoyante de la flore ou les teintes vives de certaines tenues.

Quant au récit, assez linéaire, il s’articule autour de la relation entre Nialony et Georges, afin de mieux raconter le quotidien des réfugiés, leur dénuement, la marque indélébile des traumatismes qu’ils ont subis. Oscillant entre responsabilité, agacement et bienveillance, le grand frère s’épanouit dans l’art et ses attitudes parfois bravaches ne font que masquer sa propre fragilité, sa peur et sa tendresse envers sa sœur. Dans le dernier tiers de l’album, le bédéiste aborde sans fard et avec justesse la situation des gamins enlevés par les rebelles, les unes pour les servir, les autres pour devenir enfants-soldats. Par petites touches et, notamment, à travers les figures de Franka et Perrine, il rend hommage à celles et ceux qui travaillent pour les organisations non gouvernementales, effectuant un labeur constant auprès de ces hommes et femmes arrachés à leurs foyers et leurs repères. Une pointe d’onirisme trouve sa place dans la présence de ce marabout qui donne son titre à la bande dessinée. Rencontré par la fillette, il symbolise à la fois la faune prolifique de ces contrées et la sagesse ancestrale. Charognard, il partage sa vision de la mort, interroge sur les guerres humaines et rappelle l’histoire des peuples soudanais.

Offrant un regard depuis l'intérieur sur la vie des réfugiés du camp de Bentiu, L’œil du marabout constitue une lecture enrichissante qui mérite de s'y attarder.

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Lire l’interview de Jean-Denis Pendanx.

Moyenne des chroniqueurs
7.3