L'enfer de Dante

I l est dit-on pavé de bonnes intentions, mais bien fols seraient ceux qui se fourvoieraient en Enfer à la suite de Gustave Doré !

La divine Comédie a beau être considérée comme l’un des chefs-d’œuvre de la littérature, il faut bien reconnaître que seuls les amoureux des Belles Lettres sont à même d’y trouver une forme de satisfaction, à défaut de plaisir. Alors, comment éviter que le temps n’efface de nos mémoires un tel ouvrage (et tant d’autres) ? Après tout, l’Odyssée d'Homère doit probablement plus, du moins auprès des quinquagénaires d’aujourd’hui, à Ulysse 31 qu’à la collection de la Pléiade ! Alors pourquoi pas Dante en bande dessinée ?

Les frères Brizzi semblent - à raison - avoir longuement hésité. Cependant, face à l’opiniâtreté d’Olivier Souillé, ils ont finalement franchi le seuil des Limbes, tout en évitant de tomber par orgueil en quelques cercles de feu ou de boue en se gardant de rivaliser avec le travail de Gustave Doré tel que paru dans l’édition Hachette de 1861. Dès lors, il faut considérer cet album, non pas en comparaison de son illustre prédécesseur, mais pour ce qu’il est, c’est à dire une adaptation revisitée selon les règles du 9ème Art et des canons du XXIe siècle. Ce faisant, les puristes, telles les harpies du treizième chant, hurleront - peut-être - au sacrilège pendant que nombre de ceux qui tentèrent vainement de lire (et pas forcément dans le texte) Durante degli Alighieri, apprécieront ce one-shot à l’iconographie particulièrement soignée.

Si la dimension spirituelle, politique ou encore historique du texte originel ne résiste pas à sa mise en phylactères, il convient toutefois de regarder la vidéo réalisée par les élèves de l'École Méliès pour lui reconnaitre une certaine propension littéraire. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le verbe perd également âme et sens à force d’éclipses, toutefois le propos souvent obscur du maître ressuscite malgré tout à travers le dessin à quatre mains de la fratrie Brizzi. Dès lors, d'aucuns iront jusqu’au dantesque, de circonstance, pour qualifier des planches dont la texture veloutée baigne l’ensemble d’une anachronique douceur, comme si la chrétienne empathie de Dante envers les damnés de toute nature prenait ainsi consistance. Quoi qu’il en soit, ce récit, qui donnera à l’immense majorité l’opportunité de découvrir le père de la langue italienne, se distingue par la précellence de vertigineuses illustrations pleine page qui jalonnent la descente initiatique d’un pauvre hère racontée au fil de planches d’une belle expressivité, diluant parfois - par péché de fantaisie - la portée du propos initial…

Toute proportion gardée, cet Enfer des Brizzi, à l’instar des vitraux de jadis, vulgarise l’essentiel du message de cette cantica permettant qu’elle soit connue du plus grand nombre quitte, chemin étant, à en perdre une grande partie. Désormais, l’Enfer persiste dans l’esprit commun, non plus par la puissance des mots, mais grâce à l’affirmation de l’image… Autre époque, autres mœurs !

Vidéo réalisée par les élèves de l'École Méliès.

Moyenne des chroniqueurs
7.7