Les contrées salées

1919, sur le quai de la gare de Gypsum, dans l'Oklahoma. Alors que les Taggart se réjouissent de retrouver Elber, leur fils qui rentre du front en France, Vonceil est loin de partager leur joie. La gamine guettait le retour de son frère avec une impatience certaine, mais l'adolescent intrépide en quête d'aventure, a laissé la place à homme, en quête de tranquillité, marqué par la guerre. Ah s'il avait pu rencontrer cette infirmière française dont Vonceil rêvait pour lui !

Après le remarqué Pile ou Face, en deux tomes, Rue de Sèvres continue de soutenir l'œuvre de Rebecca Mock (dessins et couleurs) et Hope Larson (scénario) en publiant dans l'Hexagone leur nouvelle création, Les Contrées Salées. Cette fois, direction la terre ferme et le milieu rural pour suivre le destin d'une famille comme il en existait tant dans l'Amérique d'après-guerre. Dans les pas de Vonceil, débrouillarde, râleuse et un peu jalouse, le public découvre une histoire classique en apparence. La scénariste dépeint une héroïne qui perd ses illusions en voyant ses aînés, et notamment ce frère qu'elle adule, mettre de côté leurs rêves d'aventure et leur insouciance pour se marier, fonder une famille ou rentrer dans le rang. Après ce début sage, l'intrigue prend rapidement une tournure surprenante. À la manière du Magicien d'Oz et des Americans Fairy Tales de L. Franck Baum, la trame bascule dans le merveilleux avec l'irruption d'une sorcière et une malédiction.

Cet événement sert d'élément déclencheur au parcours que Hope Larson réserve à la fillette ; décidée à sauver les siens, quel qu'en soit le prix, celle-ci ira de surprise en révélation. Au milieu de personnages féminins, alliés ou antagonistes, forts et moteurs de l'intrigue, c'est bien Vonceil qui sort du lot. Attachante, pleine de courage et déterminée, elle navigue entre secret de famille, amour éternel et sortilèges. En dosant avec finesse les situations réelles et étranges, les autrices parviennent à rendre sa quête mystérieuse et fascinante. Grâce à un trait précis et une mise en scène fluide, Rebecca Mock, qui a troqué ses aplats pour des nuances pastel du plus bel effet, aide à plonger avec aisance dans cette quête. Tout au long des quelques deux cents planches, les ingrédients s'emboîtent naturellement pour former un conte (difficile de ne pas penser à Hansel et Gretel des frères Grimm devant la sorcière Dee) où le suspense comme l''immersion ne font que croître jusqu'à l'épilogue.

Rebecca Mock et Hope Larson offrent avec leurs Contrées Salées un formidable récit entre magie et réalité. Une fable poétique et envoûtante qui confirme tout le talent d'un duo décidément à suivre.

Moyenne des chroniqueurs
8.0