Thérapie de groupe 3. La tristesse durera toujours

"C'est pas l'artiste qui fait l'œuvre, c'est l'œuvre qui fait l'artiste".

Manu Larcenet est désœuvré, littéralement. Son étoile qui danse ne revient pas. Pourtant, ce n'est pas faute de tout tenter, jusqu'aux solutions les plus extrêmes. A chaque nouvelle piste, il a l'enthousiasme d'un enfant, persuadé que cette fois, ce sera la bonne ! Puis, lorsque l'échec le rattrape sans pitié, il replonge dans la déprime la plus noire, jusqu'à la prochaine presque épiphanie.

Il envisage même de commettre l'irréparable. Plusieurs fois, et sous toutes ses formes. Il décide d'abord d'arrêter la bande dessinée pour s'adonner à la contemplation professionnelle auprès de moines perchés tout là-haut, dans les cimes neigeuses de l'Himalaya. L'éveil mystique se refusant à lui, il se rêve alors rockeur ultime. Il peut assurer sur l'aspect autodestructeur mais son manque de compétence musicale sonne le glas de cette ambition. Il pense même se reconvertir dans le roman graphique / reportage / bande dessinée du réel / héroïne du quotidien qui sauve des chatons mais doit se rendre à l'évidence: ce n'est pas du tout son style. Et ainsi de suite...

Pour ne rien arranger, il doit bien admettre qu'un truc bizarre est arrivé avec ses enfants. Pepito a des abdos et Lilith, dix-huit ans, préfère la philosophie à "mariocarte". Il n'a rien vu venir, trop occupé à construire une ŒUVRE. Il a tout sacrifié, sans rien demander en retour. Il est resté fidèle à lui-même tandis que monde ingrat changeait, sans se soucier de lui.

OK, Boomer !

C'est mort.

À moins que...

Au fil des trois tomes que compose cette Thérapie de groupe, l'auteur se livre à un réjouissant exercice d'autodérision, même s'il paraît un peu répétitif, tout en se moquant d'une certaine image de la bande dessinée, à la merci des modes et de l'air du temps. La tentation serait grande de réduire son propos aux élucubrations d'un "ancien" au gros nez qui craint pour son statut ou une attaque à l'encontre la génération suivante, savoureusement caricaturée dans ces pages. A travers son alter-ego burlesquement fantasmé, il expose plutôt de la difficulté de demeurer pertinent, alors que le métier induit une forme d'isolement. La peur de rester à quai pendant que le train démarre et prend de la vitesse provoque chez lui un mélange de gesticulations stériles et de réflexe d'immobilisme, comme un lapin pris dans le faisceau des phares. La tristesse durera toujours, à l'instar des deux volumes précédents, fait rire, parfois jaune, et laisse transparaître une vraie gravité. Si l'humour désamorce la mélancolie, se mettre en scène flirter avec le bord du gouffre ne peut être totalement gratuit. Anticiper l'angoisse permet de l'exorciser par la dérision. Quant à la conclusion, elle prend la forme d'une mise en abyme roublarde, qui flirte franchement avec l'escroquerie (c'est lui qui le dit) mais qui permet aussi de rappeler le cynisme du monde de l'édition.

Moyenne des chroniqueurs
7.0