Perpendiculaire au soleil

P ersonne ne devrait être condamné à mort, sous aucun prétexte. Telle est l'intime conviction de Valentine Cuny - Le Callet.

Dans la France secouée par les attentats de 2015, certains demandent le rétablissement de la peine capitale. C'est dans ce contexte que l'interview d'une militante de l'ACAT (Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture), qui préfère parler de fraternité que de vengeance, trouve un écho particulier dans l'esprit de la jeune femme. Elle décide alors de poser sa candidature pour rejoindre le programme de correspondance avec des condamnés à mort mis en place par cette association..

Elle est rapidement sélectionnée et reçoit en mai 2016 les coordonnées de Renaldo McGrith, numéro d'écrou #U33164, incarcéré en Floride à l'Union Correctionnal Institution. Armée de brèves instructions quant à la manière de s'adresser à son correspondant, d'aborder sa condition et les nombreuses règles, parfois - souvent - absurdes, imposées par l'administration pénitentiaire, elle se jette dans l'inconnu. Au fil des échanges, une amitié improbable se noue entre ces deux personnes qui n'auraient jamais dû se rencontrer. D'une intimité à l'autre, l'une libre d'aller où cela lui chante, l'autre confiné dans 5 m². Pour la jeune illustratrice, c'est tout un univers qui se dévoile. Elle va tenter de traduire avec ses mots et ses dessins, avec le soutien de son compagnon de plume.

Dans le couloir de la mort, hier et demain n'existent plus. Il ne subsiste qu'un éternel aujourd'hui. Perdu dans la brume des souvenirs, jusqu'à cet instant fatidique où tout a basculé, il ne reste que les regrets d'une vie d'avant. Quant à l'avenir, il ne s'envisage qu'en deux versions, façon chat de Schrödinger. Ce sera soit la date d'exécution de la sentence, soit une hypothétique révision. L'une est crainte, l'autre relève du fol espoir, quasi chimérique.

Alternant les techniques, l'autrice compose un livre d'images absolument fascinant. Les parties narratives sont traitées par le biais d'un graphisme réaliste intense réalisé au crayon gras, alors que les échanges épistolaires sont illustrés par des gravures qui ajoutent une symbolique forte aux mots des correspondants. Ces passages évoquent terriblement le travail des graveurs comme Frans Masereel, dont le nom se devine justement au détour d'une planche. Visuellement, Perpendiculaire au soleil s'impose comme l'un des plus beaux objets depuis longtemps, qui invite le lecteur à se perdre dans ses pages d'une puissance et d'une beauté rares. Il se révèle d'ailleurs plus graphique que narratif. Si le récit suit une certaine chronologie, il ressemble davantage à une collection d'instantanés, comme autant de bulles suspendues, de souvenirs, de réflexions ou de digressions. Passée la première lecture, l'envie est alors forte de se replonger au hasard dans telle ou telle illustration, tant elles sont ensorcelantes. Ce serait pourtant une erreur de considérer qu'il s'agisse du seul attrait de cet ouvrage. Les textes frappent également par leur pertinence et leur sensibilité.

Il est à noter que le livre ne s'intéresse jamais vraiment à la culpabilité du prisonnier. Ce dernier se dit évidemment innocent et son dossier est évoqué, mais jamais il n'est question d'une croisade contre une éventuelle erreur judiciaire. Son cas particulier n'est pas non plus le prétexte à une victimisation face au système. Aux yeux de l'autrice, il n'est ni un assassin, ni une victime. Il est avant tout un être humain. Le but de ce projet, réalisé avec l'accord et la participation active du détenu, relève plutôt d'un questionnement sur la création mais aussi d'une plongée dans l'inhumanité d'une administration qui, derrière un discours policé, frappe par son hypocrisie et l'arbitraire permanent, par exemple sur les conditions de refus de courrier qui en deviennent délirantes. Finalement, face à la manière quasi systématique dont les droits des détenus sont bafoués, l'abject étant atteint lors de plusieurs pages traitant des exécutions menées au pas de charge pour cause de pénurie de substances létales. Le lecteur ne peut que se demander à quoi sert tout ce cirque et se dire que, vraiment, personne ne devrait être condamné à mort, sous aucun prétexte.

Moyenne des chroniqueurs
9.3