Derrière le rideau

P our Yaël, tout débute et se termine derrière les lourdes tentures vertes du salon. Elle aurait voulu ne rien voir ce jour-là, peut-être cela aurait changé son destin. C'est la fête de ses huit ans aujourd'hui et il y a du monde qui s'anime. Alors qu'elle cherchait ses amis pendant une partie de cache-cache, elle découvre, dissimulée par les rideaux, une femme inconnue en compagnie de son père. Quelques jours plus tard, sa mère, très faible, décède.

Sara Del Giudice choisit un sujet fort et grave pour sa première bande dessinée : la question juive pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle donne pour cela la parole à une jeune fille, pendant la décennie 1932-1942. Celle-ci va bien évidemment connaître de nombreux bouleversements, comme tant d'autres individus en cette terrible époque. L'idée de se mettre au niveau d'une enfant accorde puissance et émotion au récit. Le lecteur découvre, vit et comprend en même temps que Yaël les évènements, car ces dix années vont être décisives pour elle et sa sœur Emilie. Elles vont passer de l'innocence à la dureté de la vie trop rapidement : elles tombent dans un monde en conflit, où l'antisémitisme est de rigueur. L'insouciance et l'innocence de l'enfance vont être brisées à mesure que Yaël grandit. La fillette prend alors douloureusement conscience de son identité et de sa religion mises au ban. Elle est le petit témoin d’une grande Histoire qui la dépasse, mais dont elle ressent tous les dangers, notamment la mort rodant sous forme de soldat, d'officier ou de personnes proches aussi, comme elle va le constater.

Un autre atout de taille pour ce livre : le graphisme. Simple, il prend la forme d'un crayonné doux au rendu naïf qui renforce le point de vue de l'héroïne et permet de modérer le ton, sans qu'il perde en force. Les couleurs naturelles ancrent le scénario dans les années abordées et présentent également de beaux effets de texture.

Derrière le rideau traite d'un thème lourd avec beaucoup de sensibilité et de justesse, surtout grâce à un personnage principal touchant et un dessin parfaitement dans le ton.

Moyenne des chroniqueurs
6.0