Céleste (Cruchaudet) 1. Bien sûr, Monsieur Proust

P aris, 1956. Une vieille dame regarde par sa fenêtre la cohorte d'immeubles qui lui fait face, les épaules voutées par l'ennui et l'esprit vaguement distrait par la logorrhée de son mari. Soudain, elle redresse la tête, ses yeux pétillent : un couple bien apprêté entre dans le salon. Ces antiquaires furètent dans l'intention d'enrichir leur collection d'objets ayant appartenu à d'éminents personnages. Céleste revit alors, à l'aise dans ce rôle de conteuse : oui Madame, oui Monsieur, elle a connu le grand Marcel Proust ! C'était en 1913, elle allait sur ses vingt-et-un ans quand…

«Cette histoire est librement inspirée de la vie de Céleste Albaret, gouvernante et secrétaire occasionnelle de Marcel Proust». Ce préambule présente ainsi l'ouvrage. Un peu godiche, naïve et maladroite, l'héroïne apprend et prend de l'assurance au contact de l'écrivain célèbre qui lui confie d'abord une charge de coursière, puis de domestique privilégiée. Elle acquiert progressivement une place de plus en plus prégnante. Les talents de Chloé Cruchaudet ne sont plus à démontrer. Elle possède une aptitude indiscutable à dépeindre des destins fictifs ou réels (Ida, Groenland Manhattan, Mauvais genre, La croisade des innocents) car elle leur apporte une profondeur et une sensibilité indéniables. Entre les dialogues savoureux, les phrases de À la recherche du temps perdu s'invitent en ribambelle, poétisant les images. Quelques superbes passages oniriques, un brin d'humour, la richesse du récit est ainsi prouvée. C'est surtout la personnalité du dandy qui se dévoile par bribes, par scénettes intimistes ou truculentes ; pour ce qui est de ses rapports aux autres, il en est peu question finalement car le scénario est centré sur ce duo improbable certes, pourtant chacun s'accommode bien des particularités de l'un et de l'autre jusqu'à… La santé fragile de l'écrivain français, son côté fantasque, ses manières précieuses… Sachez qu'il peut se montrer blessant et condescendant aussi ; c'est une célébrité avec ses caprices et son orgueil tout de même ! Pauvre Céleste et son gentil cœur, de son petit nuage elle tombera durement sur le pavé parfois…

Non seulement l'auteure écrit mais, en plus, elle dessine : un trait caricatural, léger, presque désinvolte tant il parait apposé avec aisance, qui démontre simplement le talent de l'artiste à saisir l'expression avec juste quelques courbes et deux ou trois lignes lignes. Les décors ne sont pas en reste avec ces vues du Paris de l'époque, les voitures à chevaux, les costumes et les coiffures typiques. Un certain nombre de planches muettes se découvrent ; nul besoin de mots pour insister quand le graphisme le suggère si subtilement. Le travail sur les perspectives et les cadrages enchantent l'œil et évincent la monotonie. Il n'y a pas de cadre, que des délimitations nuageuses par le fondu de l'aquarelle aux tons profonds ; ça respire.

Céleste Bien sûr, monsieur Proust : une première partie magnifique, élégante, emplie de fraicheur et d'inventivité graphique.

Moyenne des chroniqueurs
8.0