Après la rafle

"Se souvenir où peuvent conduire le racisme des uns et le désintérêt des autres. Se souvenir, ce n'est pas cultiver la haine". Ces propos de l'historien Maurice Rajsfus (adapté au théâtre par Philippe Ogouz) sont d'autant plus puissants, qu'il fut raflé avec ses parents en juillet 1942. De plus, ils résument admirablement la volonté de créer cet album à partir du livre de Joseph Weismann. Le témoignage a déjà été porté à l'écran en 2010. Alors que dire d'une version graphique ?

Jo est un gamin comme les autres dans le Paris de l'occupation, loin de penser que se trame l'un des pires actes de collaboration de l’État de Vichy. Avec sa famille, il est arrêté par la police française. Ils se retrouvent au vélodrome d'Hiver, entassés avec des milliers d'autres Français de confession juive. Ensuite, les Weismann sont parqués à Beaune-la-Rolande. A ce moment, Joseph est séparé de ses parents qui partent pour Auschwitz. Après des jours à errer dans le camp, il rencontre Jo Kogan. Tous deux ont une idée folle : s'évader...

Cette version dessinée du témoignage est intéressante pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, le récit adapté par Arnaud Delalande dépasse les années de guerre, pour montrer comment Joseph a tenté de se reconstruire une fois adulte et devenir père à son tour. Le scénariste réussit à placer le déclic qui conduit ce monsieur à témoigner : la rencontre avec une autre rescapée de la Shoah, Simone Veil. Ils se croisent en 1996, lors d'un colloque à Orléans. Elle tente alors de convaincre Joseph d'écrire ses souvenirs : « Monsieur Weismann, vous avez un devoir de mémoire à accomplir » (la scène est à la planche 116 du roman graphique). Cette prise de conscience de sa capacité à transmettre son histoire se fera progressivement dans les années qui suivent.

Ensuite, la transposition en scénario de la vie de M.Weismann n'est pas faite de manière toujours linéaire. L'album démarre avec l'évasion du camp de Beaune, pour enchaîner avec une autre scène se déroulant vingt-trois ans plus tard, lorsque les deux Jo vont se retrouver. L'intérêt d'Après la rafle se trouve dans cette approche également. En effet, le récit crée un séquençage qui peut être aisément utilisé pédagogiquement par des enseignants en lettres, en histoire ou de spécialité HGGSP en terminale (pour les professeurs travaillant en France) où la question de la mémoire du génocide juif est en partie au programme (dans l'axe conclusif, l'enseignant doit faire travailler ses élèves sur un jalon montrant comment la Shoah a été mise en texte et en image). Enfin, ce témoignage est étayé par des éléments historiques avérés et fondés sur des preuves irréfutables jalonnant la bande dessinée, Les réunions entre les SS relatant les négociations avec les Français dans l'organisation de l’opération Vent printanier (nom de code pour la Rafle du Vel' d'Hiv) en font partie. L'adaptation du témoignage s'avère donc être un sans faute.

Concernant le côté graphique, le style de Laurent Bidot convient à cette histoire. Son trait, proche d'un Tardi, précis rend compte du travail de préparation et de documentation énorme qu'il a fourni. Le choix de sa mise en couleur est absolument remarquable. Les tons contribuent à générer des ambiances de souvenirs ou de cauchemars en fonction des planches dont la composition demeure assez classique, ce qui n' altère en rien la puissance du titre.

C'est en 1995 que, pour la première fois, un président de la République (Jacques Chirac) reconnait officiellement l'implication de la France dans la rafle. Du discours écrit par Serge Klarsfeld, une phrase est passée à la postérité : «La France, patrie des lumières et des droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable.» Après la rafle est une adaptation d'un témoignage pour éviter que de nouveaux actes irréparables soient commis. Le fait de passer par la bande dessinée permet de toucher un public parfois peu amateur de commémoration et de cours d'histoire, pour les sensibiliser et les amener à comprendre cette période. Le choix des auteurs d'insérer Joseph aux différents moments de sa vie, de son enfance à son âge avancé s'avère judicieux, La séquence au cours de laquelle sa fille l'emmène visiter le tournage du film de Roselyne Bosch pour lequel il est conseiller humanise, si besoin en était, le récit et l'approche pour mieux inspirer au lecteur tout le respect que cet homme mérite.

Une bande dessinée riche en émotion(s), qui est également un support au devoir de mémoire, encore plus dorénavant avec la disparition progressive des témoins et la tendance de certains tribuns à manipuler l'Histoire à des fins populistes.

Moyenne des chroniqueurs
8.0