La part merveilleuse 2. Les yeux de Juliette

D ans un monde dystopique, les toutes s’imposent un peu partout. Êtres semi-vivants aux allures de sculptures psychédéliques, elles égaient la ville et la campagne. Elles sont en apparence inoffensives et pacifiques. À leur contact, quelques-uns gagnent l’étrange capacité de se métamorphoser. C’est ce qui est arrivé à Juliette, une gamine âgée de treize ans, et à Orsay, un jeune provincial follement amoureux de Basma.

Dans ce deuxième tome de La part merveilleuse, les enjeux se complexifient. Les créatures semblent plus agitées que naguère ; certaines deviennent même carrément menaçantes, comme celle d’Étretat. Le trio est recruté par l’armée pour intervenir en Normandie. En route, ils croisent Gina ; d’abord amicale, cette dernière se révèle redoutable. Parallèlement, l’adolescente pénètre dans des toutes où elle est agressée par des yeux géants qui la broient et la démembrent.

Pour tout dire, le macrocosme imaginé par Rupert et Mulot apparaît de plus en plus déconcertant. Bien qu’il batifole avec le surréalisme et le glauque, le ton se veut étrangement sobre. Le duo s’amuse à créer un hiatus en dirigeant les acteurs afin qu’ils agissent comme si tout cela est normal et que les événements ne les affectent pas vraiment. Le registre des dialogues est à l’avenant, à savoir monocorde, calme et sans passion.

La réflexion sur différentes questions sociales et éthiques persiste à être au cœur de l’entreprise. La place de l’art et de la beauté dans une époque obsédée par la productivité, l’acceptation de la différence, l’activisme radical et la légitimité de la violence, de même que la soumission à l’autorité sont tour à tour abordés.

Le dessin est contrasté. Les personnages sont volontairement dépeints comme ternes et banals ; leur mise en couleur se fait du reste à l’aide de teintes délavées. Les artistes traduisent ainsi la banalité du quotidien pour mieux accentuer le contraste avec l’univers onirique des êtres fantastiques, lesquelles éblouissent, séduisent... et terrifient.

Un projet singulier ratissant très large. Le bédéphile se sent par moments décontenancé et en mal de repères. Il cherche les clefs lui permettant de décoder le récit : lutte des classes ? psychanalyse ? Une chose paraît certaine, les auteurs ont confiance en l’intelligence et la curiosité de leurs lecteurs.

Moyenne des chroniqueurs
6.7