La mort rose

L a science-fiction recouvre de nombreux genres aux enjeux très différents. La Mort Rose s'inscrit dans l'anticipation ou le near future. Cette dernière ne vise pas tant à imaginer le monde de demain qu'à servir de révélateur aux angoisses d'aujourd'hui. Il suffit d'un déclencheur, d'une anomalie ou d'un deus ex machina pour mettre en branle la machine à interroger.

Intrigué par les réactions irrationnelles lors de l'apparition de quelques cas de fièvre Ebola en Espagne, Jaume Pallardo s'était attelé à un roman graphique imaginant un monde qui s'est recomposé suite à une épidémie meurtrière. Il jeta ses idées initiales sur papier en 2014 et acheva son récit en 2019, date de parution du second tome de l'édition espagnole.

Les premières planches montrent une ville confinée et un enseignant qui donne ses cours en distanciel, les visages de ses élèves en mosaïque sur l'écran de son ordinateur. Cela fait deux générations que la "Mort Rose" est apparue. Elle fait désormais partie de la normalité pour beaucoup, qui n'ont pas connu la vie d'avant. Porter une combinaison intégrale à l'extérieur est devenu aussi naturel que se laver les mains avant de passer à table. L'humanité s'est habituée et a intégré la maladie. Elle vit avec... même si certains commencent à douter. Le danger est-il toujours présent ? A-t-il seulement jamais existé ?

Pure fiction ? En quelques mois, le propos de l'auteur a été plus que rattrapé par la réalité. La tentation est dès lors grande de comparer les peurs véhiculées par ces pages et les psychoses qui se sont exprimées au cours de ces deux dernières années. Pourtant, cette bande dessinée n'a jamais eu la tentation d'être un récit prophétique ou militant. Jaume Pallardó met d'ailleurs en scène un homme authentiquement ordinaire, qui n'est animé d'aucune conviction particulière. Il n'est pas en quête de justice. Il ne dévoile pas un complot aux ramifications terrifiantes. Il veut mener une vie aussi normale que possible, rencontrer des gens, tomber amoureux.

Si les détails diffèrent, force est de constater que les craintes qui animent les différents personnages font étrangement écho à la crise du Covid. Entre acceptation et défiance, apathie et volonté de vivre malgré tout, la fable vise juste sans basculer dans un camp ou l'autre. Le plus terrifiant n'est pas la maladie en elle-même, mais ce qu'elle induit pour la collectivité. Des questions sont posées, mais aucune réponse tranchée n'est délivrée, jusque dans la conclusion qui continue de laisser planer le doute. Sans doute est-ce qui rend la lecture aussi étrange et intéressante.

Pour cette édition française, rien n'a fondamentalement été changé. Les deux tomes en noir et blanc parus en Espagne sont réunis en un volume unique augmenté d'une une touche de couleur qui sert intelligemment le récit. Une courte postface a été également ajoutée pour remettre en contexte l'œuvre. Il n'en fallait pas plus.

Moyenne des chroniqueurs
8.0