René Lévesque - Quelque chose comme un grand homme

« On est peut-être quelque chose comme un grand peuple! » - René Lévesque, 15 novembre 1976, le soir de l’élection du Parti Québécois.

Le 4 juillet 1960, René Lévesque, journaliste à Radio-Canada, est élu sous la bannière libérale, laquelle s’impose face à l’Union nationale, un regroupement populiste de droite régnant sans partage depuis un quart de siècle. Avec la fin de la grande noirceur, le Québec entre dans la modernité. Nommé ministre de l’Énergie, l’ancien reporter nationalise l’hydroélectricité, au grand dam des patrons anglo-saxons. Ce premier geste d’affirmation est applaudi, mais les Libéraux ne souhaitent pas s’engager davantage dans cette direction. Petit à petit sa pensée évolue, jusqu’à la création du Parti Québécois, dont l’objectif est d’affranchir sa province du Canada. La formation est portée au pouvoir en 1976, quatre ans plus tard, elle soumet sa proposition à la population qui la décline. Les péquistes sont toutefois réélus l’année suivante. Le chef séparatiste est aujourd’hui une légende, même ses adversaires parlent de lui avec admiration.

Marc Tessier est le rédacteur en chef de René Lévesque - Quelque chose comme un grand homme, un ouvrage collectif divisé en treize parties, chacune présentant une tranche de la vie du personnage. Certaines se révèlent particulièrement intéressantes. Le copieux chapitre sur la nationalisation de l’électricité constitue un pivot (il est d’ailleurs symboliquement placé au milieu du bouquin). Le communicateur se métamorphose alors en véritable acteur politique. Vers la fin de l’album, un segment, habilement présenté comme une pièce de Shakespeare, relate les négociations constitutionnelles de 1982. Les tractations vont bon train, jusqu’à ce que le représentant du Québec soit trahi par ses homologues provinciaux, manipulés par Pierre Elliot Trudeau, premier ministre fédéral, décrit comme le Prince de Machiavel.

Une poignée d’épisodes apparait superflue. Celui sur l’exposition universelle (organisée à Montréal en 1967), dépeint l’homme d’État entouré de playmates, le « Vive le Québec libre » de Charles de Gaule, prononcé au même moment, se montre presque anecdotique, alors que cet appui hexagonal a profondément marqué la Belle Province. Un fait divers est quant à lui carrément inutile ; au volant de sa voiture, le politicien frappe et tue un clochard étendu au milieu d’un boulevard. Un drame malheureux, quoique peu significatif.

Il est par ailleurs dommage que des événements cruciaux soient passés sous silence, notamment l’adoption de la loi 101 (laquelle force, entre autres, les francophones et allophones à fréquenter l’école française) qu’il accepte à contrecœur ou encore le putsch fomenté par des membres de son équipe pour le pousser vers la porte de sortie.

Enfin, le lecteur s’interroge sur la nécessité de s’attarder si longuement à la carrière journalistique du héros, alors que son impact est essentiellement lié à son engagement public ; ce n’est du reste qu’au dixième chapitre (sur treize) qu’il accède aux plus hautes fonctions.

Les pinceaux ont été confiés à plusieurs bédéistes aux esthétiques différentes, le choix du noir et blanc apporte néanmoins une certaine uniformité. La sélection des illustrateurs semble soigneusement réfléchie. Ainsi, un reportage au camp de Dachau et l’accident d’automobile sont caractérisés avec un langage graphique trash. Aussi, le trait bon enfant et tout en rondeur de Sophie Bédard colle bien à l’atmosphère détendue de la conclusion où le nouveau retraité se repose en Égypte. La qualité des illustrations est variable, certains artistes se détachent du lot, par exemple Christian Quesnel qui propose un bel amalgame de dessin et de collages (une sorte de Johan de Moor, à cette exception que son style se veut réaliste) et le joli coup de crayon charbonneux d’Alain Chevarier, lequel signe la couverture.

Au-delà de la biographie, le recueil fait figure de vitrine pour la bande dessinée québécoise. Quelques auteurs sont connus, par exemple Réal Godbout et Louis Rémillard, alors que d’autres le sont moins ; en fait, la moitié des participants n’a jamais publié de livre.

Moyenne des chroniqueurs
6.0