Erdogan - le nouveau sultan

E n 2003, Recep Tayyip Erdogan est élu premier ministre de la Turquie. Onze ans plus tard, il en est le président. Le politicien est controversé, notamment en raison de son mépris de la démocratie, de la laïcité et de la liberté d’expression. Rien de moins. Mais qui est-il ? Né dans un milieu modeste et excessivement pieux, il grandit avec un père brutal. Pas particulièrement doué à l’école, il devient joueur de football semi-professionnel. Il n’a cependant pas le talent requis pour s’imposer dans les grandes ligues. Ambitieux, il a une carte dans son jeu : un incroyable charisme. La droite religieuse ne s’y trompe pas et comprend qu’il a le potentiel d’aller loin. Elle lui offre son soutien pour conquérir la mairie d’Istanbul, laquelle lui servira de tremplin pour accéder aux plus hautes fonctions. Il y met du temps, multiplie les échecs… et s’entête jusqu’à ce qu’il remporte, presque honnêtement, une élection.

Erdogan, Le nouveau sultan est le fruit d’une impressionnante recherche. Le journaliste Can Dündar a consulté toutes les sources possibles pour circonscrire les motivations du politicien et retracer son parcours en adoptant une structure chronologique très fluide. Disposant de trois cents pages, il a tout l’espace nécessaire pour s’attarder à des épisodes méconnus. Il s’arrête alors que le protagoniste s’assoit sur la chaise du président de la République, à quoi bon raconter une suite déjà bien connue. Sans concessions, il dévoile un individu prêt à tout pour obtenir ce qu’il convoite, c’est-à-dire le pouvoir. Le démagogue n’hésite pas à tricher, mentir, manipuler et trahir. Pour tout dire, en comparaison, Machiavel fait figure d’enfant de chœur. L’ouvrage a certes des allures de brûlot ; il n’est toutefois pas que cela. Le scénariste se veut intègre, tellement que par moments le lecteur est presque sensible aux déconvenues de l’homme d’État.

En toile de fond, le chroniqueur présente les théocraties du monde arabo-musulman qui se structurent pendant les dernières décennies du XXe siècle. Le retour des dévots dans la sphère politique turque n’est pas un phénomène isolé ; il profite en effet d’une mouvance internationale rendant acceptable la dérive mystique dans une nation laïque depuis les années 1920.

Mohamed Anwar soutient l’enquête à l’aide d’un dessin réaliste en noir et blanc. Il se concentre essentiellement sur les interlocuteurs et ses décors sont généralement dépouillés. Bref, il laisse assez peu parler ses illustrations. Cela dit, les acteurs jouent toujours juste.

Le portrait fouillé d’un personnage fascinant… et un peu terrifiant. C’est du reste à partir de l’Allemagne que les deux bédéistes turcs ont mené ce projet impensable à réaliser dans leur propre pays.

Moyenne des chroniqueurs
7.0