Au-dessus l'odyssée

N ous avons tous vu notre vie bouleversée par la crise du Covid. Il en a sûrement été de même pour Jason. Comment vécut-il cette période ? La vingtaine d'histoires composant au-dessus l'Odyssée offrent sans doute une fenêtre exclusive sur la psyché de l'auteur norvégien. S'est-il reconnecté à la nature, passant de longues heures à marcher dans la forêt ou taquinant le goujon sur un lac aux eaux cristallines ? S'est-il abîmé dans la contemplation du lever de soleil depuis la fenêtre de sa chambre, se laissant envouter par la magie des reflets multicolores dans les gouttes de rosée jusqu'à ce que le crépuscule ne l'emporte dans un tourbillon extatique de couleurs reflétées sur les toits d'Oslo ? A-t-il effectué ses propres recherches sur toutes ces vérités dérangeantes, découvrant avec effroi l'existence du grand complot des varans illuminati de Finlande ? S'est-il torché comme un pochtron, soir après soir, pour tromper le désespoir qui l'envahissait ?

Probablement rien de tout cela. Il a vraisemblablement passé beaucoup de temps à lire, se lançant enfin dans tous ces classiques qu'il s'était promis de découvrir avant ses trente ans (il n'est jamais trop tard), à enfin visionner des films essentiels du patrimoine mondial... Se nourrir intellectuellement, se cultiver... et parfois s'accorder une petite séance de Netflix & Chill ou savourer une série Z avec ce mélange caractéristique de fascination et de honte.

Puis, à force de solitude et d'ennui, sans doute sa raison commença-t-elle à chavirer. Isolé, mais pas tout seul dans sa tête, il s'est mélangé les cases, comme un rubik's cube qu'il aurait depuis longtemps renoncé à résoudre. Est-ce dans un effort désespéré de ne pas définitivement sombrer qu'il a tenté d'exorciser cette insanité qui le rongeait ?

Il lui fallait expulser ses démons. Il devait se purger de ces multivers malades.

Voilà ce que représentent ces pages : une tentative de ramener l'ordre dans son cerveau en ruine.

Comment expliquer autrement cette suite de récits sans queue, ni tête, qui font de Georges Pérec un détective privé enquêtant sur une étrange disparition ? En vrac, se succèdent un Monsieur Spock qui déserte l'Enterprise pour se consacrer dans le Montmartre des artistes des années vingt, Crime et Châtiment raconté à la manière d'une série documentaire genre Faites entrer l'accusé, un mélange entre le Château de Kafka et le Prisonnier de Patrick McGohan, la fusion absurde entre Ulysse de James Joyce et l'ultraviolence de Quentin Tarantino.

À moins que tout ceci ne soit qu'une récréation très innocente. Un étrange mash up entre pop culture et classiques indiscutables. Le tour de force de Jason est d'avoir réussi à composer des récits qui fonctionnent au premier degré, sans nécessairement demander une connaissance approfondie des œuvres culturelles qu'il pastiche avec un plaisir évident. Improbable de bout en bout, avec un humour parfois très con (dont une dernière planche basée sur un jeu de mots particulièrement pourri que même Les Nuls n'ont pas osé), cette odyssée ne doit pas intimider le lecteur qui craindrait de se perdre dans une private joke élitiste. Il y a plutôt du Monty Python dans la démarche, mais avec le flegme caractéristique de son auteur, son sens parfait du timing et son style pince-sans-rire. Les amateurs se régaleront. Ceux qui n'ont jamais adhéré à son univers ne changeront pas d'avis.

Moyenne des chroniqueurs
8.0