Lone Wolf & Cub Volume 1

L e loup solitaire et son rejeton reviennent enfin en France, pour le plus grand plaisir des lecteurs.

Le tandem mythique à qui toute la pop-culture rend régulièrement hommages et distille clins d’œil (de Frank Miller à Quentin Tarantino, en passant par Usagi Yojimbo du génial Stan Sakai et plus récemment dans les séries Rick et Morty et The Mandalorian) se devait de faire son retour en grande pompe ! C'est pourquoi, après une première édition reprenant les vingt-huit tomes de la série originelle, Panini offre une version intégrale deluxe pour la réédition. Les douze nouveaux albums comptent presque sept-cent pages, pour un format proche du A4. La magnifique jaquette protège une couverture cartonnée sertie de dorures à chaud. Les éditions Panini ne font pas dans la demi-mesure lorsqu'elles proposent une réédition d'un titre culte de l'histoire du manga.

Autrefois kogi kaishakunin du shogun, fonction qui faisait de lui l’un des hommes les plus importants du pays, Ogami Itto n’est plus rien. Victime d’un complot, il a tout perdu : sa famille, son pouvoir, son prestige. Il erre désormais en compagnie de son jeune fils, Daigoro, à travers le Japon féodal à la recherche de ses ennemis. Tel un vieux loup solitaire, il loue ses services de samouraï au plus offrant et enchaîne des missions toutes plus périlleuses les unes que les autres. Enoncé ainsi, le synopsis de cette saga peut induire en erreur mettant de côté ce qui en fait le sel, son Golden Duo.

L'histoire est signée par un auteur devenu un grand nom du scénario : Kazuo Koike. Après des études littéraires, il devient l’assistant de Kiichiro Yamate, écrivain historique et auteur de la série Momotaro Samurai. Ensuite, il rejoint Takao Saitō et son studio Saito Pro, pour travailler sur le manga Golgo 13. Autant de rencontres professionnelles qui ont une influence notable sur le scénariste. En 1970, la rencontre avec Goseki Kojima se traduit par un véritable coup de foudre professionnel qui donnera naissance au classique Lone wolf and Cub. Parallèlement, avec la volonté de transmettre son savoir, il fonde en 1977 la Koike Kazuo Gekigason-juku. Cette école formera à l'écriture BD plusieurs auteurs à succès (Rumiko Takahashi, Tetsuo Hara...). Dans les années 80, Koike crée son propre magazine, Alba-tross View, consacré à une autre de ses grandes passions, le golf. Plus tard, la section des Beaux Arts de l’université d’Osaka l'accueillera en ses murs.

Au dessin, Goseki Kojima offre un style réaliste. Il commença par l'art du Kami-Shibaï en 1950, puis avec le déclin de cet art narratif, il se tourna vers l' e-monogatari (les contes illustrés). C'est en 1957 qu'il se lance dans le manga. En 1964, il entre à Akame Production, fondée par Sampei Shirato, dont il devient l’un des collaborateurs. Il participe ainsi aux premiers chapitres de Kamui den (La légende de Kamui, publié chez Kana). Shirato lui enseigne une façon bien particulière d’agencer les cases pour imprimer du mouvement, technique qu’il continuera à développer dans ses ouvrages suivants. Ainsi ,son parcours artistique a forgé un style et une dynamique propre, qui furent ensuite repris sans être jamais égalés. Sa construction graphique est empreinte d'une constance métronomique : une organisation sur deux planches, trois niveaux et souvent six cases autour d'une case principale, qui court sur les deux planches. Ce procédé, inédit à l'époque, donne un dynamisme surprenant. Autre élément de "signature" du mangaka, dévoilé dès l'ouverture : des sujets en pied présentés en pleine page, très travaillés et détaillés, chargés de noirs, éclairés par derrière sur des fonds saturés de tension ou parcourus par des flammes montrant la colère ou la détermination. Pour qui en douterait, du pur "Gegika" (littéralement « dessins dramatiques »), gorgé d'intensité et qui ne rechigne pas sur la violence. Plus loin, une scène, emblématique, de combat opposant Itto et un groupe ennemi qui permet au dessinateur de terminer sur un climax repris fréquemment par la suite à la télévision, au cinéma et dans le domaine du jeu vidéo de combat. Ce jeu de cases, poussé à l'extrême dans cette série, est devenu un code à part entière dans l'art du Jidamono (récit d'époque).

Le duo mythique a su combiner ses nombreux talents pour créer ce titre à l'ambiance à la fois lourde et tragique, qui saisit les lecteurs dès le premier chapitre. Le personnage principal, respectueux du bushido, fait preuve d'une droiture hors norme en comparaison des autres samouraïs davantage avides de gloire, voire corrompus. Sa pratique du code du guerrier l'entraine sur la voie de l'enfer, devenant au passage ronin. Dans ce parcours, la présence de son fils mutique Daigoro est un petit rayon de lumière. Son père l'utilise dans ses stratégies et se montre dur avec lui mais cette dureté est la manière d'aimer d'Itto comme l'indique le titre du deuxième chapitre : "un père connait le cœur de son fils, comme seul son fils connaît le sien". Le tandem fonctionne à la perfection.

Par ailleurs, l'alternance des combats et des moments de méditation donne un rythme étonnant et plaisant. Lone wolf and cub offre en outre une description fidèle de la société japonaise du XVIIème siècle. Certes, l'exposé privilégie le fonctionnement de la classe des guerriers, mais la vie rurale est également décrite. La transcription du contexte historique, soignée, ajoute au réalisme de la série.

Le format cette nouvelle édition fait honneur aux dessins et à la mise en page de Kojima. Au lecteur de se délecter des magnifiques planches, imprimées sur un papier de qualité, avant de trouver en fin d'album un glossaire très précis des termes japonais utilisés dans les différents chapitres ainsi que des commentaires de Xavier Guilbert. La conclusion devient simple : voici donc la plus grande série de samouraïs et elle se doit d'être présente dans toutes les bibliothèques !

Moyenne des chroniqueurs
8.3