La dame Blanche La Dame Blanche

U n gant humide glisse le long de la peau parcheminée d’un corps immobile. Un coup de peigne à la chevelure de neige, l’enfilage des bijoux et des vêtements préférés ; la défunte est prête. Estelle a encore une lourde tâche à accomplir : prévenir la famille. Même avec dix ans d’expérience, ce n’est pas aisé. Puis, il lui faut retourner auprès des autres résidents. Il y a Germano dont les proches s’éloignent de plus en plus ; Sophie qui ne cesse de l’appeler Eva ; le malheureux de la chambre 212 qui hurle chaque nuit ; et aussi la nouvelle arrivée qui se présente comme ancienne ambassadrice française à Prague au grand dam de sa fille. Prise au milieu de ces êtres au seuil de leur existence, l’infirmière tangue sur le fil de sa propre solitude.

Après avoir évoqué les violences sexuelles faites à des femmes dans Touchées, Quentin Zuttion (Chromatopsie, Drosophilia) s’inspire de sa courte expérience en maison de repos pour livrer un album qui ne laisse pas indifférent. Au contraire, tant l’héroïne en blouse immaculée que les personnages qui l’entourent et dont elle s’occupe viennent heurter la conscience du lecteur, le déranger dans son confort et ses certitudes. Par le truchement du regard posé par Estelle – que complète celui de Sonia, sa collègue -, il est amené à prendre la mesure de la confrontation quotidienne avec le vieillissement et la mort. Il devient également le spectateur de la décrépitude des uns et du glissement de l’autre vers des agissements dépassant la ligne rouge de la déontologie. Comment ne pas être émus par l’abandon progressif d’un papy ou cette vieille femme qui se réinvente un passé dont sa fille est absente ? Quant aux (ré)actions de la professionnelle des soins, elles ne manquent pas de questionner sur les difficultés des conditions de travail autant que sur la lourde charge mentale et émotionnelle que ce métier implique. Sans jamais s’inscrire dans le jugement, la narration passe d’un événement au suivant en laissant toute sa place à une humanité saisissante et palpitante, ce qui rend poignants les dilemmes dessinés en filigranes.

Le dessin n’est pas en reste et s’avère empreint d’une grande douceur, mais aussi d’une certaine énergie. Ne cherchant guère à embellir les peaux ridées, le trait n’oublie ni les plis flasques ni les tâches témoignant du grand âge. Il montre sans fausse complaisance et se pare habilement d’une mise en couleurs dominée par un bleu-gris un peu passé et froid, dont la nuance parvient à paraître étonnamment lumineuse. Quelques touches aux teintes plus vives viennent, çà et là, apporter des touches presque festives qui renforcent l’uniformité cotonneuse du reste. L’expressivité des traits et le sens aigu de la composition participent également pleinement à l’efficacité générale qui donne l’impression de demeurer en suspens, à l’image de ces vies entrevues.

Fort et émouvant, un rien déstabilisant, La dame blanche est un roman graphique de qualité à lire assurément.

Moyenne des chroniqueurs
7.0