Goodbye Ceausescu

A u fil de sa vie, tout le monde connaît, à un moment ou un autre, une inclinaison, une curiosité ou une préférence pour une ville, une région ou un pays. Pour certains, c’est l’Égypte et ses Pharaons, d’autres New York et le rêve américain ou, plus près d’ici, la Bretagne et son climat. Pour Romain Dutter, c’est la Roumanie. Pourquoi ? Peut-être est-ce dû à la révolution de décembre 1989 quand le dictateur Ceausescu fut déboulonné et exécuté pratiquement en direct à la télévision. À neuf ans, ce genre d’images marque. Ensuite, il y a eu la mode de la musique tzigane avec le Taraf de Haïdouks et quelques coups de génie de Gheorghe Haji durant la coupe du monde de 1994. Tout ça fait que la Roumanie est toujours restée dans un coin de sa tête. Des années plus tard, une demi-douzaine de voyages sur place et pas mal de lectures sur le sujet, c’est encore le cas.

Judicieusement sous-titré Road-trip documentaire dans la Roumanie post-communiste, Goodbye Ceausescu suit le trajet du voyageur-narrateur à Bucarest (à ne pas confondre avec Budapest), à travers la Transylvanie et la Valachie, puis fait un crochet en Moldavie (à ne pas mélanger avec la République de Moldavie voisine) et dans le delta du Danube. Moult explications dignes des meilleurs guides de voyage bleus ou verts et d’innombrables rencontres avec des habitants et acteurs culturels forment la colonne vertébrale de ce copieux livre. Les propos sont divers et nombreux, les anecdotes pertinentes et, globalement, le portrait s’avère complet et équilibré. Dommage cependant que le côté purement factuel prenne quasiment le pas sur la bourlingue. Oui, les rappels historiques et les détails géographiques sont bienvenus, mais où est l’émotion de la découverte et la chaleur de l’accueil des Roumains croisés sur la route ? La volonté de démystifier le pays de Vlad l’Empaleur et d’aller au-delà des idées reçues envers les Roms est évidemment à saluer. Par contre, sur la longueur, la lecture finit par ressembler plus à une page Wikipédia exhaustive qu’à une BD d’évasion. Une chose est néanmoins certaine, Dutter est généreux et veut partager sa passion et ses expériences.

Une partie de cette impression «synthétique» est peut-être à mettre au crédit de Bouqé, dont le trait très basique, voire pauvre, rend ces pérégrinations particulièrement fades. En effet, si narrativement l’album est bien construit et raconté, les illustrations qu’en tire le dessinateur se montrent peu habitées et, plus grave, aucunement inspirantes ou invitantes. Les paysages, les bâtiments marquants, une avenue démesurée héritée du communisme ou une simple ruelle, tout est dépeint de la même manière, sans réel souffle ou ressenti. Paul Bona a bien essayé de donner une identité aux chapitres et régions visitées en les dotant d’une couleur propre. L’idée est intéressante, mais se révèle rapidement insuffisante pour procurer une identité tangible à l’ouvrage.

Appliqué et reposant sur une vraie volonté de faire découvrir une nation européenne proche et méconnue, Goodbye Ceausescu se prend trop au sérieux et, à force de se coller uniquement aux faits, oublie la part poétique de l’errance si chère à Nicolas Bouvier.

Moyenne des chroniqueurs
5.0