Bons baisers de Limón

S ur le papier, deux garçons encadrent une jeune fille sur une plage bordée de palmiers. Elle, c’est Rosario ; eux, des frères, s’appellent Virgilio et Osvaldo. La première et le second sont les grands-parents maternels de Ramiro, un étudiant Costaricain installé à Londres. Profitant d’un séjour dans son pays natal, ce dernier reçoit de sa mère une boîte remplie de vieux clichés, retrouvés dans les affaires de son père. Muni de son trésor, il entreprend de recueillir les souvenirs que son entourage conserve de ses ascendants, de leur relation et de leur vie entre les années 1940 et 1960. De San José, la capitale, à Limón, port au bord de la Mer des Caraïbes, chaque témoignage va permettre à Ramiro de reconstituer le puzzle familial.

Que les photographies soient reléguées en vrac au fond d’un tiroir, voire remisées dans un grenier, ou sagement rangées dans des supports ad hoc, elles témoignent souvent de la vie d’un individu et de ses proches, mais aussi d’une époque. Capturant un événement spécifique ou juste un moment plaisant, elles constituent une mémoire que certains se plaisent à revivre en les regardant. Souvent, devant d’anciens portraits, l’envie survient de percer le mystère de la personne qui y figure et ce d’autant plus quand il s’agit d’un membre de la lignée peu connu et déjà décédé. En conviant les photos au cœur de son roman graphique, Edo Brenes ne s’y est pas trompé : il convoque ainsi une douce nostalgie qui saura parler à de nombreux lecteurs.

L'auteur construit ensuite son récit autour d’une narration qui navigue habilement entre présent et passé. D’un côté, les entretiens de Ramiro avec sa parentèle - parfois éloignée – ou des connaissances, nourrissent la vision que chacun a du trio formé autrefois par Virgilio, Osvaldo et Rosario et mettent à jour les croyances et mythes concernant leurs existences, au fil des anecdotes rapportées. De l’autre, chaque chapitre relate la réalité vécue par les trois jeunes gens, dévoilant le caractère de chacun, la rivalité entre les frangins, leurs choix divergents. La rencontre, en dernier lieu, avec le frère de son aïeul apporte finalement la clé qui manque et éclaire ce qui est resté jusque-là dans les ombres des non-dits. Par ailleurs, au rythme des réminiscences invoquées, le bédéiste brosse un tableau du Costa Rica vieux de quelques décennies, laissant entrevoir cet esprit de la pura vida cher aux Ticos.

S’inspirant de sa propre histoire familiale, Edo Brenes reprend également dans son dessin des clichés appartenant aux siens. Ce parti-pris confère un côté assez figé à son trait semi-réaliste, à la fois fin et expressif. Pour autant, cela n’est pas forcément gênant et donne plutôt l’impression de tourner les pages d’un album de photos au fil des commentaires qui les accompagnent. La différenciation des temporalités se fait à travers une colorisation adaptée. Ainsi, le gris-bleu – parfois ponctué de rose, domine les passages où Ramiro interroge son entourage, les instantanés étant en nuances de gris ; les épisodes du vécu réel de ses aïeux se parent, eux, de jaune, d’orange et de vert, plus lumineux.

Première œuvre bien construite, Bons baisers de Limón offre un voyage émouvant au cœur d'un secret de famille. Il permet aussi de découvrir un auteur au talent prometteur. Plongez-y en écoutant l’air du mambo Cerezo rosa (il ne manquera alors qu'une agua dulce à siroter).

Moyenne des chroniqueurs
8.0