Seul le silence

D ans une petite ville de Géorgie où tout le monde se connait, la vie du jeune Joseph va être bouleversée à jamais. Lui, le gamin sensible, un poil rêveur, toujours prêt à aider va se retrouver confronter à l'horreur. Et lorsque celle-ci se répète, le sentiment d'impuissance le dispute à ceux de la culpabilité et de l'incompréhension. Pourquoi de tels meurtres ? Pourquoi une telle sauvagerie et surtout qui peut être capable de tels actes ? Pour Joseph, sa famille, ses amis, tout va changer ; la peur, la suspicion, le doute vont s'emparer de cette communauté et modifier à jamais le destin de l'écrivain en herbe.

Romancier avant d'être un scénariste reconnu de bande dessinée, Fabrice Colin (La Brigade Chimérique, Eden) aime l'adaptation. Que ce soit pour des titres jeunesse (comme son Wonderpark) ou déjà un livre de Roger Jon Ellory avec Chicagoland (avec Sacha Groeg), l'auteur sait y faire. Pour l'un de bouquins phares de l'écrivain anglais, c'est Richard Guérineau, lui aussi rompu à l'exercice (Charly 9 et Entrez dans la danse tous les deux de Jean Teulé), qui tient les pinceaux.

Le duo respecte le style du créateur de Vendetta et Le Carnaval des ombres en brossant rapidement le portrait de l'Amérique des années 50. En quelques cases, de son trait précis et réaliste, le dessinateur installe le cadre, croque ses protagonistes et pose les jalons de l'histoire. Certes, le format réduit la partie consacrée aux développements de tous les personnages, mais l'époque est bien retranscrite et les dialogues sonnent juste. Il ne faut que quelques pages pour que le lecteur se retrouve happé et échafaude des hypothèses, qu'il défait au fur et à mesure de la progression. Celle-ci s'effectue sur un rythme lent, bien éloigné de l'habituel tempo des récits sur les tueurs en série, comme pour mieux laisser à l'atmosphère angoissante le temps de se diffuser. Car c'est sur cette cadence lancinante que tout repose. Le destin du héros semble inéluctable et, malgré les mois et les années qui défilent au gré des pages et des chapitres, prend son temps sans dévier. C'est peut-être l'écueil le plus saillant d'une trame classique au final, cette impression que la route est tracée, que tout est écrit quels que soient les rebondissements. Cependant si l'intrigue n'a rien de profondément surprenant, les auteurs déploient, par petites touches et avec talent, un climat étouffant où la tension croît à mesure que le temps passe, que les héros grandissent et que les meurtres s'empilent. L'immersion est totale et les doutes sur l'identité du coupable se multiplient jusqu'à la révélation finale.

Adapter le chef-d'œuvre d'un auteur à succès est toujours un pari difficile. Pourtant, Fabrice Colin et Richard Guérineau y parviennent haut la main. Sans tomber dans la facilité avec des effets démonstratifs exagérés, ils restituent l'ambiance, créent et maintiennent un suspense haletant jusqu'à la dernière planche. Ils livrent ainsi une des BD marquantes de cette fin d'année.

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