Le monde sans fin

A lors que l'insécurité climatique devient de plus en plus présente, Chistophe Blain, poussé par son frère, se met à suivre les conférences de Jean-Marc Jancoviti, spécialiste des questions énergétiques et de l’impact sur le climat. Comme une évidence, l'auteur de bandes dessinées propose au scientifique de collaborer sur un livre qui tenterait d'en expliquer les enjeux pour la société contemporaine. Le résultat est ce copieux album de près de deux cents planches.

Le dessinateur endosse le rôle du candide face à un expert, comme il l'avait déjà fait dans En cuisine avec Alain Passard. Mais le sujet est autrement plus large et compliqué. Jean-Marc Jancoviti est un polytechnicien qui s'est intéressé très tôt aux effets climatiques de l'activité humaine. Au début des années 2000, mandaté par une agence du ministère de l'environnement, il élabore le concept du Bilan Carbone, devenu la norme mondiale pour évaluer les émissions de gaz à effet de serre des entreprises.

Il entreprend d'expliquer le rapport intime qui le perfectionnement des machines, qui ont besoin de moins en moins de combustible pour produire de plus en plus de travail, et le développement de la société, toujours plus avide. À l'aide d'exemples bien choisis, et grâce à l'imagination débordante de Blain pour mettre en images des mécanismes ardus, il démonte les rouages d'une machinerie complexe, permettant de mieux comprendre la dépendance de notre mode de vie aux énergies fossiles et autres. Son approche n'a pas l'allure d'une démarche militante, que ce soit dans un sens ou un autre. Il démontre la faille fondamentale dans le mode de développement qui repose sur une croissance perpétuelle, sans tenir compte des contraintes réelles. Il n'hésite pas à tordre le cou à quelques idées reçues, nuance l'apport des énergies vertes, insiste sur l'impasse dans laquelle nous sommes... Il est malgré tout parfois difficile de ne pas y voir un discours par moment partisan et étrange, qui réhabilite le nucléaire, dégage d'un revers de la main les quelques inconvénients comme les déchets ou minimisant les effets de Tchernobyl ou Fukushima, tout en martelant que rien de tout cela n'est possible en France. L'argumentaire est efficace et bien rodé.

Il est alors difficile de ne pas sentir l'ombre des puissants donateurs de son "groupe de réflexion": le Shift Project, à savoir EDF, Bouygues ou Vinci. Ce discours est-il le produit d'une analyse approfondie et décomplexée d'un problème que personne ne nie ou est-il parasité par le baratin du VRP de ses sponsors ? Il est difficile de se faire une opinion en refermant Le monde sans fin. La bande dessinée est en elle-même très réussie et, au moins pour ses deux tiers, absolument passionnante dans son analyse du rapport à l'énergie. Elle vulgarise efficacement des sujets délicats et se lit pourtant avec un grand plaisir. Est-elle neutre idéologiquement ? C'est un autre débat.

Moyenne des chroniqueurs
8.0