Monstres (Windsor-Smith) Monstres

L e jeune Bobby Bailey n'a pas beaucoup de perspectives dans la vie. Lorsqu'il entre dans le bureau de recrutement de l'armée américaine, c'est avec la ferme intention de s'y engager. Le sergent instructeur McMcFarland doute des capacités du jeune homme, qui apparaît peu sûr de lui et très évasif sur son passé. Il décèle pourtant en lui toutes les caractéristiques qui en feraient le candidat idéal pour un programme militaire ultra-secret: le projet Prometheus, qui vise à créer un super-soldat. La nouvelle recrue connaîtra-t-elle un destin similaire à celui de Steve Rogers, le mythique Captain America ?

Pas vraiment.

Très loin de là, pourrait-on même dire.

En fait, le lecteur songera plutôt à L'arme X, du même auteur, qui détaillait les expérimentations inhumaines qui dotèrent Wolverine de ses griffes et son squelette d'Adamantium. C'est alors que l'histoire connaît un premier basculement, s'attachant alors au dilemme de McFarland, qui prend conscience qu'il a probablement condamné ce pauvre gamin à un sort peu enviable. Imperceptiblement, le scénario s'éloigne du genre super-héroïque pour glisser vers un registre encore plus sombre, qui n'est pas sans évoquer Sin City. Un nouveau changement de perspective survient, entraînant l'intrigue dans une direction diamétralement opposée, plus intime.

C'est là le tour de force que représente Monstres. L'histoire repose sur des éléments connus, à la limite du cliché. L'apparition d'un savant nazi forcément inquiétant prête presque à sourire. Il y aura encore une histoire d'amour impossible, un enfant possédant un pouvoir à la Shining, des militaires tautologiquement bas du front... et une tragédie familiale particulièrement déchirante. Autant d'ingrédients habituels, mais qui ne sont pas souvent associés. Barry Windsor-Smith fait reposer son récit sur des recettes éprouvées. Si les multiples développements qu'il utilise ne sont pas novateurs en tant que tel, Il n'hésite pas à mélanger les genres et les combine avec une maîtrise totale. Le scénario est d'une fluidité absolue, reposant sur des personnages forts et attachants. Il en va de même pour la partie graphique, il n'y a pas d'autre terme, superbe. Que ce soit dans l'expressivité des personnages, la composition des planches ou le dynamisme des scènes d'action, chaque page force l'admiration.

C'est là l'œuvre d'un virtuose, tellement à l'aise qu'il n'éprouve pas le besoin de faire ce son livre un catalogue tape-à-l'œil de son art. Il met son immense expérience au service de l'histoire qu'il raconte. Il ne se renie pas, il ne sacrifie pas à une quelconque mode, à un tel point que Monstres possède un charme très désuet. À vrai dire, il est même difficile de croire que ce roman graphique est une nouveauté de 2021. Il passerait presque pour une réédition très soignée. Cela tient aussi sans doute à sa très longue gestation, puisque sa genèse remonte au début des années quatre-vingt, lorsqu'il s'agissait d'un projet destiné à Hulk. Et cela faisait près de vingt ans que l'auteur s'y consacrait.

Le résultat est un ouvrage classique, dans l'acceptation la plus noble du terme. C'est aussi un chef-d'œuvre, littéralement: une création majeure, parfaite dans son genre.

Moyenne des chroniqueurs
8.7