Georgia O'Keeffe Georgia O'Keeffe - Amazone de…

N ouveau-Mexique, 1949. Georgia O’Keeffe et quelques amies vivent isolées au Ghost Ranch où elles dressent l’inventaire du patrimoine artistique d’Alfred Stieglitz. Photographe et galeriste, ce dernier a été l’agent, le mentor, l’amant et le mari de celle dont les tableaux sont actuellement exposés au Centre Pompidou. Le livre retrace sa carrière avec en toile de fond sa relation avec cet homme qui a cru en elle et l’a soutenue, à une époque où rien n’allait de soi pour les femmes. L’artiste se révèle complexe ; soumise et affirmée, intransigeante et ouverte aux compromis, féministe et cocue consentante, mais avant tout passionnée par son travail.

La période couverte par la biographie de Luca de Santis s’étend de l’arrivée de la protagoniste à l’Art Students League de New York en 1907, jusqu’au décès de son protecteur en 1946. Ces quarante années sont décrites à l’aide d’une quinzaine d’épisodes, présentés en ordre chronologique, lesquels alternent avec des séquences mettant en vedette le quatuor de recluses. Le scénariste adopte ainsi une forme classique, mais efficace, pour expliquer la trajectoire professionnelle de la « plus grande artiste femme américaine».

La vie personnelle et familiale de la moderniste est presque passée sous silence, et ce n’est que vers la fin du récit, au hasard d’une courte conversation, que le lecteur apprend que les sœurs du personnage principal tiennent aussi le pinceau. Enfin, l’intervention ponctuelle d’un spectre surmonté d’un crâne de chèvre est habile ; la créature figure la conscience de l’héroïne, celle avec qui elle bavarde et qu’elle consulte à l’occasion. Cette stratégie narrative permet d’avoir accès aux pensées de la célébrité.

Le dessin de Sara Colaone est magnifique. D’emblée, le bédéphile est frappé par son choix de ne pas insérer de gouttières entre les cases, certaines ayant même tendance à empiéter sur leurs voisines, un peu comme si tout devait être enchevêtré et qu’il soit impossible d’établir des frontières pour raconter le parcours de celle qui n’avait aucune limite. La planche constitue alors un tout, plutôt qu’une somme de vignettes.

Alors que la paysagiste est surtout reconnue pour ses grosses fleurs colorées et décoratives, l’illustratrice privilégie un trait charbonneux et travaille essentiellement en bichromie. La bédéiste a un style bien à elle. Certaines influences transparaissent néanmoins, par exemple le trait précieux de son compatriote Antonio Lapone lorsque l’action se déroule dans la métropole étasunienne. Aussi, certains visages s’apparentent à ceux croqués par Clément Oubrerie et Catel Müller. Tout au long de l’album, la dessinatrice évoque les courants picturaux de la première moitié du XXe siècle ; certaines illustrations s’inspirent du cubisme, d’autres du futurisme ou du surréalisme ; de nombreux croquis, réalisés lors de séances de pose avec des mannequins, rappellent pour leur part la production d’Egon Schiele.

Une très belle bande dessinée, peut-être plus intéressante que celle qui y est dépeinte.

Moyenne des chroniqueurs
8.0